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Presse écrite

Le Monde des livres, le 21 mars 2013 :

Histoire biaisée
Métronome, l’ouvrage que le comédien Lorànt Deutsch a consacré à l’histoire de Paris (Michel Lafon, 2009), a connu un gros succès. Se voulant un « éclairage » historique, il enfile pourtant d’imprudentes affirmations et même de parfaites « contre-vérités », pointent les auteurs des Historiens de garde. Leur livre dégage les partis pris politiques à l’oeuvre (valorisation d’un passé idéalisé, célébration d’une prétendue « identité »), aidant à saisir, plus largement, la nature réactionnaire de certaines productions dites « historiques ». J. Cl.

@rrêt sur images, le 25 mars 2013 :

Au-delà des critiques sur les erreurs historiques du livre Métronome de Lorànt Deutsch et de son arrière-fond royaliste, que nous avions déjà évoqué, les auteurs du livre Les historiens de garde, William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin, racontent comment l’acteur a réussi à séduire plusieurs médias et éviter les querelles historiques, en usant d’un champ sémantique bien particulier. Ainsi, Deutsch ne se revendique pas historien, il ne parle pas de faits historiques mais assure que son récit est « authentique et authentifié », termes relativement vagues, et invite le lecteur à une « balade » à travers l’histoire. Plutôt que d’un travail historique fondé sur une étude critique des documents, Deutsch préfère parler d’« éclairage », comme si l’histoire n’était qu’une question de point de vue. A charge pour ce royaliste de sélectionner les points de vue qui l’arrangent pour reconstruire un roman national.

Rue 89, le 25 mars 2013 :

« Les Historiens de garde » sort en librairie ce mercredi 27 mars. Le titre renvoie à ces figures médiatiques qui défendent, selon ce livre, une histoire orientée, tantôt nationaliste, tantôt royaliste, conservatrice voire réactionnaire, et des méthodes discutables quand elles ne sont pas franchement hasardeuses.

Ce sont pourtant ces « historiens de garde » qui dominent le traitement de l’Histoire dans le PAF, et notamment sur les chaînes publiques. Lorànt Deutsch n’est que le « poste avancé » d’un profond problème médiatique.

Doctorants et enseignants, les auteurs, William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin, soutenus par l’historien Nicolas Offenstadt qui a préfacé le livre, promeuvent au contraire une histoire ouverte sur le monde et les sociétés, qui ne s’arrête pas aux « grands hommes » et à la France.

Rappelant que l’histoire est à tout le monde, ils affirment qu’elle peut être pratiquée par des passionnés, des amateurs, mais ils préconisent la distanciation critique, la rigueur, la mesure du poids des mots et, surtout, l’étude des sources (les documents hérités des époques étudiées). Camille Pollet

Bibliobs, le 30 mars 2013 :

En 2012, l’histoire de Paris selon Lorànt Deutsch avait suscité une polémique bien française. Trois historiens remettent le sujet sur la table dans un livre solidement argumenté.

ParisMatch.com, le 2 avril 2013 :

Pour les auteurs, ces «historiens de garde» défendent trop souvent une vision réactionnaire et nostalgique de l’histoire, tout en avançant masqués quant à leurs motivations réelles. William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin n’hésitent pas à faire une comparaison audacieuse avec les sciences naturelles: « On peut comparer les historiens de garde et l’offensive créationniste touchant les sciences de la vie », écrivent-ils, page 225. Adrien Gaboulaud

Les Inrockuptibles, le 3 avril 2013 :

C’est tout le problème que pose avec gravités les historiens critiques : comment résister aux dérives de l’histoire spectacle où la forme prime sur le fond, où la nostalgie d’un passé fantasmé occulte la complexité analytique […]. Au fond, l’alternative n’est pas entre histoire populaire et histoire universitaire, mais entre histoire falsifiée, identitaire, rétrograde, et l’histoire complexe, interrogée, critique. Jean-Marie Durand

Libération, le 4 avril 2013 :

Inaction de la presse d’opinion, collusion des télévisions ou complaisance des pouvoirs publics, le champ est libre pour ces historiens de garde et leur roman national, antirévolution, prochristianisme ou colonisation, écho soi-disant scientifique aux tendancieux concepts d’identité et de racines françaises. Les Historiens de garde, ou la brillante réplique, implacable, à une vague très actuelle, nostalgique […] et, surtout, insidieusement réactionnaire. C. G.

Libération, le 5 avril 2013 :

Les trois auteurs nous livrent ici une analyse minutieuse et implacable de toutes les affabulations et contre-vérités contenues dans le livre 1, dans sa version télé et dans le documentaire sur le Paris de Céline, fruit d’une collaboration entre Lorànt Deutsch et Patrick Buisson. Ils évoquent aussi les précurseurs de cette histoire travestie en grand roman national – comme Alain Decaux et André Castelot – et la «nouvelle garde» – comme Eric Zemmour ou Franck Ferrand. Véronique Soulé

La Liberté, le 6 avril 2013 :

Problème: le travail de l’acteur serait aussi peu rigoureux factuellement que politiquement orienté, à en croire «Les Historiens de garde», un essai qui vient de paraître (1). Rencontre avec deux de ses auteurs: Aurore Chéry, doctorante en histoire et spécialiste du XVIIIe siècle, et Christophe Naudin, professeur d’histoire-géographie et contributeur du site « Histoire pour tous ». William Irigoyen

Gala, le 6 avril 2013 :

Outre les arrangements avec la vérité, Lorànt Deutsch et ses camarades d’« histotainment » sont accusés d’être des «historiens de garde» (d’où le titre du livre) cherchant à imposer leur vision (dans Métronome, par exemple, le point de vue royaliste de Deutsch transparait clairement), et comparables à l’offensive créationniste touchant les sciences de la vie. Armelle Sémont

Regards.fr, le 15 avril 2013 :

L’histoire de France racontée par Lorànt Deutsch a bénéficié d’un consensus médiatico-politique. Le comédien invente pourtant un roman national dont trois jeunes historiens pointent les dangers dans Les Historiens de gardeMarion Rousset

L’Humanité dimanche, le 18 avril 2013 :

Un collectif d’historiens fait le point, dans le livre « Historiens de garde », sur cette utilisation par le pouvoir de l’histoire à des fins politiques, et dénonce un discours dominant et très médiatique qui vise à fabriquer du récit romanesque pour créer de l’adhésion.

Le Nouvel Observateur, le 18 avril 2013 :

C’est une excellente lecture complémentaire. Tonique, musclée, documentée. Il n’y est pas seulement question des boulettes de Deutsch […]. Les trois jeunes historiens, qui ont eu l’abnégation d’éplucher ses oeuvres complètes, interviews comprises, dégagent clairement, sous un fatras d’images d’Épinal, une revendication politique, volontiers royaliste, qui fait la joie des groupuscules identitaires. Grégoire Leménager

L’Humanité, le 19 avril 2013 :

Ses « travaux », si bâclés soient-ils, comme le démontrent les auteurs, ont en tout cas trouvé un écho favorable chez Patrick Buisson (leur complicité de vues les amènera à collaborer en 2012 à l’écriture d’un Paris de Céline), et, au-delà, chez un certain Nicolas Sarkozy. Rien d’étonnant, au vu de « l’étrange convergence au niveau politique et médiatique entre les tenants d’une privatisation à outrance du système d’éducation et ceux qui demandent un retour au roman national ». Grégory Marin

Questions de classe(s), le 20 mai 2013 :

Il s’agit d’un travail très documentés de jeunes historiens critiques qui se proposent de démonter la vulgate propagée par les historiens gardien de la patrie et de l’ordre.

Toutelaculture.com, le 22 mai 2013 :

Dans un contexte de crise économique et politique tel que celui de la France en 2013, il est un devoir nécessaire de démonter une lecture et une diffusion de l’histoire qui serait un véritable instrument de propagande érigeant le conservatisme, le nationalisme, ou le retour à la morale comme les gardiens, les garants du ciment social. Un livre à mettre entre toutes les mains !

Le magazine littéraire, le 1er juin 2013 :

Lorsque Lorànt Deutsch décide de partager sa passion pour l’histoire en publiant Métronome, le succès éditorial est tel que le comédien en présente bientôt l’adaptation télévisée. Les journalistes saluent son triomphe ; les historiens se désintéressent de ce qui reste un ouvrage de vulgarisation. Aujourd’hui, trois d’entre eux lancent un pavé dans la mare, dénonçant à la fois le quasi-monopole des personnalités médiatiques dans la diffusion du savoir historique et l’idéologie réactionnaire défendue par ceux qu’ils nomment les « historiens de garde ». Maialen Berasategui

Le Républicain lorrain, le 5 juin 2013 :

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L’Histoire dévoyée, qui sert de sombres desseins, cela irrite Aurore Chery. Dans Les Historiens de garde, écrit à six mains, elle dénonce des pratiques que l’on retrouve par exemple dans Métronome, de Lorant Deutsch. Il y a Histoire et Histoire. L’une, factuelle, qu’il est sain d’enseigner et de connaître. L’autre, romancée, dévoyée, voire sciemment imaginée. Vincent Trimbour

Voir une version pdf de l’article.

La République de Seine-et-Marne, le 12 juin 2013 :

Des historiens critiquent le projet de parc Napoléon. Porté par Yves Jégo, le projet est vivement critiqué par les auteurs du livre « Les historiens de garde » qui n’y voient qu’une démarche médiatique loin de toute notion pédagogique.  Pierre Choisnet

Charlie Hebdo, le 12 juin 2013 :

Les Historiens de Garde - Charlie Hebdo
Les Historiens de Garde – Charlie Hebdo du 12 juin 2013

BSC News, le 24 juillet 2013 :

Méfiez vous semblent dire les auteurs de ces faux historiens qui profitent de leur notoriété acquise dans d’autres domaines, pour promouvoir une histoire de France sujette à caution. Une histoire de France sous forme de récit où il y aurait des bons, des méchants et en toile de fond une France éternelle.

Une histoire prompte à enthousiasmer, à émouvoir mais prompte également à étouffer tout esprit critique. Régis Sully

Historia, juillet-août 2013 :

Historia propose, dans son numéro de juillet-août 2013, un débat autour du livre Les Historiens de garde. Du côté des « pour », Olivier Coquard note que « L’Histoire, pour certains, ne se discute pas : elle doit forger une identité nationale intangible, une continuité autour de la religion catholique. »
Du côté des « contre », Joëlle Chevé, si elle critique certains amalgames que nous aurions faits, elle salue néanmoins notre « courage » et constate que « l’Histoire n’est souvent qu’un divertissement soumis aux lois du marché, à la facilité racoleuse et à la déploration passéiste. » Un triste constat auquel nous nous associons.
Cerise sur le gâteau, la rédaction d’Historia, par la voix de Damien Choisiel, fait un sort en bas de page au dernier livre de Dimitri Casali, Les morts à la con de l’Histoire. Joëlle Chevé, en parlant de « facilité racoleuse », ne croyait pas si bien dire…

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Le Huffington Post, le 30 septembre 2013 :

Notre tribune suite à la parution du livre Hexagone de Lorànt Deutsch.

Bibliobs, le 5 octobre 2013 :

Interview de Christophe Naudin par Clémence Faber.

Lorànt Deutsch avoue adhérer à la théorie du choc des civilisations, la bataille de Poitiers servant son propos. Il critique les historiens qui ne voient pas dans cette bataille un tournant historique, alors que lui-même y voit le marqueur d’une opposition multiséculaire entre l’Islam et l’Occident. Ce type de discours est dangereusement proche de celui de l’extrême-droite, laquelle a fait de la bataille de Poitiers une référence idéologique.

France Bleue, le 8 octobre 2013 :

Mais aujourd’hui, alors que les travaux n’ont pas encore commencé, certains dénoncent déjà un projet « qui utilise l’Histoire à des fins purement commerciales ». C’est le cas de trois historiens : William Blanc, Christophe Naudin et Aurore Chéry ont publié en mars dernier Les Historiens de garde. Faustine Calmel.

Les dossiers du Canard Enchaîné n°129, octobre 2013, p. 92-93 :

Justement, de jeunes historiens mal lunés veulent aujourd’hui rapprocher Lorànt Deutsch à Chevénement. Dans leur livre intitulé « Les historiens de garde » (Inculte essai, 2013), William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin évoquent l’ex-ministre de l’Éducation nationale et la « tentation d’une histoire officielle », déplorant que les programmes scolaires de l’école primaire n’aient pas fondamentalement changé « depuis le Lavisse républicain »; ce bon vieux manuel de la IIIe République, dont les auteurs rappellent la devise : « Tu dois amer la France; parce que la Nature l’a faite belle et parce que l’Histoire l’a faite grande. » Juste qu’à ce qu’on lui coupe la tête par les racines ? Cela prouve que le filon d’une histoire « identitaire » et nationaliste existe.

Notons que dans ce vaste dossier du Canard Enchaîné consacré aux « Nouveaux réacs » (et dans lequel deux pages sont consacrées à Lorànt Deutsch) figurent plusieurs personnalités ayant soutenu ou travaillé avec l’acteur, comme Patrick Buisson, mais aussi Éric Zemmour (proche du précédent. Voir p. 84 du dossier) et Éric Brunet.

Les Inrockuptibles, le 14 octobre 2013 :

Sur la couverture de Métronome, il se mettait en scène porteur d’une impressionnante pile de livres. Cette fois, il tient sa documentation à bras-le-corps (tout près de son cœur) et dévoile une bibliographie de sept pages. Pas assez rigoureux pour ses détracteurs, auteurs du livre Les Historiens de garde, et à l’origine, la semaine dernière, de l’article “Lorànt Deutsch et le mythe de l’invasion musulmane” sur le Huffington Post. En ligne de mire notamment, le chapitre sur la bataille de Poitiers proche, selon eux, du discours tenu à ce sujet par l’extrême droite. Diane Lisarelli.

Le Point, le 14 octobre 2013 :

Ces trois historiens sont William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin, les mêmes qui lui reprochaient, en 2010, l’approche historique du best-seller Métronome. Celui qui se dit plus « démocrate » que « royaliste », « de gauche » car colbertiste, serait, à lire ses contempteurs, dans la lignée de Jean Sévillia, journaliste-historien de droite pourfendeur de l' »historiquement correct » et, surtout, du maurrassien Patrick Buisson, ancien journaliste de Minute et directeur de la chaîne Histoire. Saïd Mahrane.

  1. Métronome. Nda
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Quelle histoire se cache derrière Dimitri Casali…

Pour Dimitri Casali, l’Histoire est avant tout un réservoir d’arguments pour justifier ses opinions politiques. En résumé, la France est malade de l’immigration, des fonctionnaires, de la démocratie. Analyse d’une interview d’anthologie.

Dimitri Casali ne fait pas de l’histoire pour rien. Reproduisant le même livre à chaque rentrée afin de tonner contre la soi-disant disparition de l’histoire nationale1, devenu directeur de collection à L’Express, spécialiste autoproclamé de tout (et donc de rien), son combat est devenu une petite entreprise qui ne connaît pas la crise.
Mais Dimitri Casali écrit aussi de l’histoire dans une perspective purement politique. Pour lui, le passé n’est qu’un réservoir d’argument pour justifier des partis pris contemporains. Un exemple frappant de cette méthode reste l’interview croisée qu’il a donnée au site Altantico.fr le 7 janvier 2013, intitulée « 1789-2013 : la crise va-t-elle nous mener vers une nouvelle Révolution ? »

Un constat : C’est la crise !

On aura compris, dans l’interview, Dimitri Casali compare la France contemporaine à celle de 1789.

En tant qu’historien, je suis frappé par les points communs aux deux périodes, dans le sens où les dysfonctionnements du modèle politique laissent en effet penser que nous sommes au bord du gouffre.2

"Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation." D. Casali. On remarquera l'aigle impérial porté en badge par Dimitri Casali.
« Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation. » D. Casali.

On pourrait s’interroger sur la validité d’une telle comparaison. Mais D. Casali use de l’analogie historique non pas pour éclairer, pour faciliter la compréhension, mais pour faire un constat : selon lui, la situation est bien pire qu’en 1789… et ce pour plusieurs raisons.

Nous faisons face aux trois mêmes crises que dans l’avant-1789 : crise économique (dette étouffante, hausse des prix et du chômage…), crise sociale (grogne populaire face aux privilèges…), et crise politique (incapacité du pouvoir à réformer). À cela vient aujourd’hui s’ajouter une crise supplémentaire à savoir la crise identitaire qu’était loin de connaître la France de l’Ancien Régime.

La crise identitaire, depuis Max Gallo, est devenue un véritable leitmotiv des historiens de garde (notamment de Stéphane Bern). Cette ellipse, pleine de sous-entendus, permet évidemment de pointer du doigt l’immigration actuelle (et pas n’importe laquelle3) qui affaiblirait l’identité de la France (tout en sous-entendant que l’Ancien Régime était plus stable). Mais Dimitri Casali ne s’arrête pas en si bon chemin.

La situation est même d’un certain point plus paralysante qu’a l’époque puisque Louis XVI contrôlait le pays avec 60 000 fonctionnaires (pour 26 millions d’habitants) alors qu’ils sont aujourd’hui 6 millions en comptant le personnel des hôpitaux (pour 65 millions d’habitants NDLR). Ce chiffre illustre parfaitement notre gabegie de la dépense d’État et il est aberrant de voir que nous continuons dans ce contexte de recruter dans les collectivités territoriales. Le statut des fonctionnaires n’a de plus jamais été modifié depuis Maurice Thorez en 1946 et cela prouve encore une fois notre incapacité à s’attaquer aux privilèges de quelques-uns au nom de l’intérêt général.

Dimitri Casali sait pertinemment que le faible nombre de « fonctionnaires » sous Louis XVI s’explique du simple fait que la plupart des missions régaliennes, y compris la perception des impôts, étaient confiées à de riches particuliers (à travers des institutions comme la Ferme générale). L’armée était en partie constituée de mercenaires, et l’éducation publique, la santé, les transports publics, les pompiers, la police, les services culturels, les musées, les bibliothèques publiques, les archives publiques étaient inexistants ou presque4. Est-ce à cela qu’il faudrait revenir ? Sans doute si on suit le raisonnement de Dimitri Casali qui voit dans les fonctionnaires des « privilégiés » dignes de la noblesse5 Le cantonnier payé à peine plus que le SMIC appréciera.

La solution : l’homme providentiel.

La crise est donc, pour D. Casali, bien plus importante qu’en 1789. mais que les lecteurs se rassurent, il a trouvé la solution :

Tout comme à la fin du XVIIIe siècle, la France se retrouve sclérosée et l’immobilisme de notre actuel Président ressemble étrangement au caractère hésitant de Louis XVI, qui n’a somme toute jamais réellement souhaité faire le grand saut nécessaire pour rétablir le pays. Nous sommes donc, en 2013 comme en 1788, coincés entre l’envie d’améliorer la situation et la peur d’un changement radical pourtant nécessaire à cette amélioration. Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation et j’ai hélas bien peur que ce ne soit pas l’actuel dirigeant de la Ve République.

On connaissait la fascination de D. Casali pour les « grands hommes », Napoléon en tête. Dans ces livres, il en fait les seuls héros de l’histoire de France, la source de toutes les réussites, de toutes les gloires au point d’être parfois très indulgents avec eux. Ainsi a-t-il expliqué sur les ondes d’Europe 1 le 2 septembre 2013, au micro de Franck Ferrand, la dictature pétainiste par une prétendue sénilité de Philippe Pétain.

De cette fascination pour les grands hommes, D. Casali en tire les conséquences politiques. Seul l’un d’entre eux peut sauver la France (de l’immigration et des fonctionnaires, si l’on suit son raisonnement) et son avènement est assimilé à un « changement radical ». Pas question d’injecter plus de démocratie, pas question de réformer la république, ces deux mots n’apparaissent pas dans ces propos, sauf dans l’exergue de l’interview (rédigée par le site Atlantico.fr) :

Comme la Monarchie absolue avant elle, la Ve République, plombée par une dette étouffante et paralysée par l’immobilisme démocratique6

La France, malade de l’immigration, des fonctionnaires, de la démocratie… voilà une des belles leçons de l’histoire façon Dimitri Casali.

William Blanc

PS : Dimitri Casali a été invité le 10 novembre 2011 par l’UMP à son atelier sur La nation (organisé à la demande du courant populiste de la Droite Populaire). Il est intéressant de noter que les propos de D. Casali (malheureusement pas rapportés in extenso par Le Monde) ont choqué y compris dans les rangs de l’UMP.

Dimitri Casali à l'atelier de l'UMP le 10 novembre 2011.
Dimitri Casali (à gauche) à l’atelier de l’UMP le 10 novembre 2011.
  1. Sur le dernier ouvrage en date, voir les excellents articles d’Éric Fournier et de Laurence de Cock parus sur le site aggiornamento.hypotheses.org
  2. Les passages en gras sous de notre fait.
  3. Selon un article du Monde daté du 10 novembre 2011 (voir le post-scriptum de notre article), Dimitri Casali aurait fustigé « un déficit d’intégration, une mauvaise maîtrise du français et une ghettoïsation des immigrés plus « voulue » que « subie ». » On objectera que Dimitri Casali a co-écrit un livre consacré aux « immigrés qui ont fait la France ». Mais la co-auteure (Liesel Schiffer) s’est depuis deux ans désolidarisé de Dimitri Casali dans une tribune intitulée « Loin de Dimitri Casali ». Enfin, il est courant depuis l’élection de Nicolas Sarkozy de dresser le portrait d’une France accueillante (ce qui n’a pas toujours été le cas) et des populations accepter de « s’intégrer » pour mieux fustiger une immigration actuelle qui, elle, refuserait.
  4. Le chiffre avancé par Dimitri Casali semble être tiré du livre de F. Bluche, La Vie quotidienne au temps de Louis XVI, Hachette, 1980, p. 24, qui ne prend en compte que les seuls employés de la Ferme générale qui peuvent être difficilement qualifiés de fonctionnaires vu qu’ils travaillaient pour des particuliers. Merci à Fadi El Hage de nous avoir indiqué ces références.
  5. « Nous faisons face aux trois mêmes crises que dans l’avant-1789 (…) crise sociale (grogne populaire face aux privilèges…) » et « Le statut des fonctionnaires n’a de plus jamais été modifié depuis Maurice Thorez en 1946 et cela prouve encore une fois notre incapacité à s’attaquer aux privilèges de quelques-uns au nom de l’intérêt général. » Le lecteur attentif aura compris que Dimitri Casali met en parallèle les nobles de 1789 et les fonctionnaires actuels.
  6. On pourrait d’ailleurs se demander en quoi la Monarchie absolue était paralysée par « l’immobilisme démocratique » ?

Philippe de Villiers, Lorànt Deutsch et le général de Charette…

Philippe de Villiers est en passe de prendre sa carte de membre permanent des historiens de garde1. L’ancien président du conseil général de la Vendée vient en effet de sortir un livre consacré à Charette, l’un des chefs militaires des guerres de Vendée (côté « blanc ») intitulé Le roman de Charette. Roman ? Donc fiction. Eh non, car, comme Lorànt Deutsch, Philippe de Villiers, interviewé le 31 octobre 2012 sur France 3 Pays de Loire, laisse planer l’ambiguïté quant à la nature de son travail. « Le titre de mon livre est trompeurLE_ROMAN_DE_CHARETTE_couv_dos335.indd, car Le Roman de Charette n’est pas un roman mais une histoire vraie : c’est la vie de Charette qui est un roman2. » L’homme politique affirme donc faire un travail d’historien, qu’il appuie sur des sources inédites : « Je suis entré dans des familles de Bretagne et de Vendée, on m’a ouvert des portes et des archives privées3. »
Il n’est pas question pour nous de nous prononcer sur le fond de l’ouvrage, travail que nous laissons aux historiens spécialistes de la période. Par contre, la tournée de promotion du livre et le discours que M. de Villiers développe à cette occasion nous ont semblé révélateurs des convergences d’analyses entre les historiens de garde et certains milieux politiques.

FRANCE TÉLÉVISION : ENTRE ALLIÉS OBJECTIFS ET « COMMUNISTES INCULTES » ?

Une fois encore, les réseaux médiatiques classiques des historiens de Garde sont entrés en branle. La chaîne Histoire (toujours dirigée par Patrick Buisson) reçoit ainsi Philippe de Villiers le 30 novembre 2012 dans l’émission Historiquement Show. Quinze jours plus tôt, le Figaro consacrait un article dithyrambique au livre de l’ancien ministre en expliquant qu’il portait « haut l’art de la vulgarisation. » Le 25 novembre 2012, P. de Villiers est invité à parler de son livre par l’association Renaissance Catholique dont de nombreux membres écrivent dans le très contestable Figaro Histoire4.
Mais c’est sur l’antenne locale de France 3, le 31 octobre 2012, que P. de Villiers commence sa tournée de promotion. Le service public télévisuel reste un allié indéfectible des historiens de garde. Outre Métronome, il a également programmé quatre fois en moins d’un an l’émission de Franck Ferrand, « Robespierre, bourreau de la Vendée ? », émission largement critiquée par les spécialistes de la période. Philippe de Villiers reconnaît lui-même que se programme se résume à un véritable outil de propagande pour ses idées. Selon, lui, elle aurait ainsi fait sauter les lignes du « périmètre sanitaire5 » bien qu’elle soit diffusée

sur une chaîne nationale peuplée de communistes, France 3. Ils sont tellement incultes qu’ils ont laissé passer deux fois la même émission sur la Vendée.

Derrière le mépris évident, on devinera que, pour l’ancien ministre, l’Histoire se résume à un conflit idéologique. Lui-même voit son livre non pas comme un moyen de réfléchir sur un événement passé (ici, les guerres de Vendée), mais comme un prolongement de son engagement politique : « j’ai écrit ce livre Charette, qui n’est pas un roman […] pour que la Vendée on l’aime6. »

http://www.youtube.com/watch?v=d92ZMV-69sg&feature=youtu.be

CHARETTE, UN HÉROS PARTAGÉ, UN HÉROS PRÉTEXTE

Philippe de Villiers l’annonce à corps et à cris. Outre un spectacle programmé au Puy du Fou sur Charette, le vicomte l’annonce bien haut : « Le Roman de Charette est parti à Hollywood7 » avant de se mettre à rêver d’une adaptation cinématographique. Un rêve que caresse aussi Lorànt Deutsch. Interviewé par Franck Ferrand le 11 décembre 2010, il en fait son héros favori et affirmait vouloir porter sa vie à l’écran8 avant de se replier sur une adaptation en BD annoncée incessamment.
Pourquoi une telle mise en avant de Charette ? L’homme en fin de compte n’est qu’un prétexte pour récréer une légende héroïque des combattants vendéens blancs, mais surtout de faire sauter les lignes du « périmètre sanitaire » qui entoureraient l’histoire de la Révolution française. Il s’agit, pour Philippe de Villiers, d’affirmer que la Révolution est un bloc de Terreur digne des pires horreurs du XXe siècle. Il suffit, pour s’en convaincre, de se repasser lentement une phrase :

La fameuse phrase de Robespierre : « Rendons-le responsable du mal que nous leur faisons. » Vieux truc de Lénine et de Pol-Pot ! Rendre les Vendéens responsables du mal que la Révolution leur fait.

Robespierre serait donc un dictateur qui serait allé chercher ses inspirations chez Lénine et Pol Pot (il aurait repris leur « vieux truc »), et la Révolution serait donc fille des régimes totalitaires du XXe siècle. Pour promouvoir cette vision rétrospective que partage également Lorànt Deutsch, Philippe de Villiers était accompagné le 29 janvier par un personnage sulfureux, Reynald Seycher, promoteur acharné de la théorie du génocide vendéen. Il n’est pas question pour nous ici de faire la critique de ce concept largement rejeté par les historiens. Remarquons seulement que Seycher, le temps d’une intervention, se montre non seulement enthousiaste à propos du livre de Philippe de Villiers, mais également du Puy du Fou, parc d’attractions fondé par ce dernier (et auquel a participé Lorànt Deutsch) et que Seycher assimile nettement à une arme de propagande.

UN ACTE DE FOI

Philippe de Villiers et Reynald Secher ne sont pas des hommes isolés. Dans la salle (hors champ) se trouvait Dominique Souchet, parlementaire MPF qui déposa le 3e projet de loi visant à reconnaître le « génocide » vendéen. Depuis, un quatrième projet (le troisième depuis 2007) a été déposé avec le concours de Marion Maréchal Le Pen. Cette loi, pour Philippe de Villiers, n’est sans doute qu’une étape :

Au fond, pourquoi il y a un périmètre sanitaire, pour protéger quoi ? Et bien pour protéger la Révolution française. Aujourd’hui la nouvelle ligne de défense des gens intelligents qui sont prêts à lâcher quelque chose pour ne pas lâcher l’essentiel ça consiste à dire : « Oui, c’est une gigantesque bavure, on ne peut pas la cautionner. Mais ça ne met pas en cause le principe même de la Révolution française. » Et bien moi je le dis solennellement ici ce soir. Je pense que la Terreur elle est dans l’ADN de la Révolution française9.

Quant à savoir pourquoi le révolutionnaire serait devenu des criminels, Philippe de Villiers s’en explique très simplement : ils se positionnaient « hors le mystère de l’Incarnation10. » On l’aura compris, pour l’ancien ministre, l’Histoire, la politique, et la vie de chaque individu se résume en fait à un acte de foi.
Tout cela ne serait en fin de compte pas grave si ces propos restaient cantonnés au petit cercle des nostalgiques de l’Ancien régime. Mais il est inquiétant de constater qu’ils infusent bien au-delà. « Le périmètre sanitaire, il a explosé », explique en exultant Philippe de Villiers à Nantes. Un mois plus tôt, il se félicitait : « Le meilleur papier est paru dans Libération. » En effet, le 2 novembre 2012, Christophe Forcari, dans le quotidien, exonère l’ancien ministre de toute velléité idéologique.

Philippe de Villiers ne tombe pas dans le travers d’opposer le gentil chef chouan aux cruels Bleus, ou d’en profiter pour délivrer un quelconque message contre-révolutionnaire.

Plus incroyable, le journaliste va même jusqu’à prêter à l’ancien ministre un rôle historiographique. Ses analyses auraient été rétrospectivement démontrées par des études historiques.

Le créateur du Puy du Fou avait été taxé de révisionnisme historique dans la manière dont il présentait cet épisode de la Révolution française. Depuis, des études historiques ont montré que les troupes dépêchées par la Convention avaient bien pratiqué la politique de la terre brûlée et commis nombre de massacres11.

Des études historiques ? Lesquelles ? C. Forcari ne le précise pas. Lui aussi se serait-il laissé berner par les sirènes des historiens de garde ?

William Blanc

PS : pour une analyse complète des guerres de Vendée, voir cette tribune de Jean-Clément Martin, historien spécialiste de la question : « Il y eut des crimes de guerre mais pas de politique génocidaire », paru le 29 janvier 2013 dans L’Humanité.

  1. Nous l’avions brièvement évoqué dans Les HdG à propos de son parc d’attractions, le Puy du Fou
  2. Nouvelle de France, le 10 décembre 2012.
  3. Ibidem.
  4. Voir l’article du site aggiornamento.hypotheses.org à ce sujet
  5. Conférence donnée à Nantes le 29 janvier 2013.
  6. Ibidem.
  7. Nouvelle de France, le 10 décembre 2012.
  8. Voir également ce lien
  9. Conférence donnée à Nantes le 29 janvier 2013.
  10. Nouvelle de France, le 10 décembre 2012.
  11. Pour ces deux citations, cliquez sur le lien

Chapitre 4 : du marketing à l’autorité

Un storytelling efficace :

Lorànt Deutsch, c’est un storytelling parfaitement réussi le présentant comme un grand enfant (un « Peter Pan ») amoureux d’histoire victime d’affreux militants haineux. Le meilleur exemple reste l’interview très complaisante de l’acteur par une présentatrice de France Télévision (sur laquelle Métronome TV a été diffusée) dans l’émission Grand Public du 29 novembre 2012.

Nous avons aussi fait une capture audio de l’émission (et pardon pour les grésillements, la capture audio n’est pas très bonne).


Le service public n’est pas le seul faire dans l’hagiographie de l’acteur. Voyez par exemple ce journal de TF1 dans lequel Lorànt Deutsch est, pour la commentatrice, inspiré par « l’humanisme ». Rien que cela…

http://www.youtube.com/watch?v=G4jAp3ZCaM4

On le voit également intervenir dans une école du XVIIIe arrondissement. À l’initiative de qui ?

Lorànt Deutsch invité dans les écoles de Paris :

La présence de Lorànt Deutsch dans les écoles parisiennes avec le soutien de l’Académie et de la mairie de Paris comme le prouvent ces deux interventions, où étaient présents les maires d’arrondissement des IIIe et Xe arrondissements et de hauts responsables de l’Académie de Paris.

Sur les sites des écoles en question, il est bien spécifié que les élèves ont travaillé sur le livre de Lorànt Deutsch. Était-il raisonnable de mettre les élèves en présence d’un travail aussi discutable ? Le rôle de l’EN était-elle de participer à la promotion d’un livre douteux, comme le prouve la présence d’une journaliste de Métro et du Parisien.

Capture d’écran 2013-03-23 à 18.24.42

Lorànt_deutsch_ecole_paris_Parisien

Cet accueil très complaisant par certains responsables de l’Education nationale n’a pas empêché Lorànt Deutsch de déclarer à Télé Obs le 13 décembre 2011 : « J’ai été contacté par l’Éducation nationale mais nos positions sont irréconciliables. Elle est en train de transformer l’Histoire de France en croisière Costa. On nous parle du royaume du Ghana pour montrer qu’on est dans une sorte d’internationalisme triomphant. » prenant en cela position dans la controverse très droitière sur l’enseignement de l’histoire dont Dimitri Casali et consorts se sont fait une spécialité depuis la rentrée 2010 (voir chapitre VI et le dossier consacré à la question sur l’excellent site aggiornamento.hypotheses.org).

Le soutien des politiques :

Si Lorànt Deutsch a pu faire autorité, c’est qu’il a été soutenu par des politiques, y compris de gauche. Tout d’abord par Robert Hue, qui n’a pas tarit d’éloge à son sujet sur la chaîne Public Sénat le 18 décembre 2009 en expliquant que Lorànt Deutsch fait preuve d’une « pointure historique réelle ».

Vient ensuite le tweet d’Anne Hidalgo au moment de la diffusion de Métronome TV, le 6 avril 2012 (le dernier, tout en bas de la capture d’écran).

tweet_anne_hidalgo

Pourquoi une élue de la République se transforme-t-elle en VRP d’un mauvais livre ? Absence de réflexion quant à ce que doit être une histoire sérieuse ? Le seul élu à s’être sérieusement posé la question reste Alexis Corbière, qui a demandé instamment en juillet 2012 que la mairie de Paris ne se fasse plus le relais des oeuvres de M. Deutsch comme on peut le constater sur cette page prise sur le site paris.fr.

Image 1

La réaction le 10 juillet 2012 de Bruno Julliard, délégué à la culture de Bertrand Delanoë, pour qui « il n’y a pas de quoi fouetter un chat », tout en affirmant que le livre « n’avait pas vocation à servir de manuel d’histoire. » Certes, mais il a été étudié par des élèves de Paris sans que la mairie n’y trouve rien à redire.

Bruno Juilliard Lorànt Deutsch

À peine Bruno Julliard affirmait que la polémique autour du livre de Lorànt Deutsch était un « peu excessive », voilà que l’extrême-droite, le même jour, monte au créneau pour soutenir Lorànt Deutsch.

Historiens de garde et polémique « Lorànt Deutsch » : un bilan médiatique et politique

Cette nouvelle rentrée a été très chargée sur le plan médiatique pour nos historiens de garde. Évidemment, la sortie du nouvel opus de Lorànt Deutsch, Hexagone (Michel Lafon), a accaparé une bonne part de l’attention, mais il ne faut pas oublier qu’elle venait après celle du Lavisse augmenté de Dimitri Casali (Armand Colin), et en même temps que le nouveau Jean Sévillia, Une histoire passionnée de la France (Perrin). Cette offensive a d’abord été menée de concert entre historiens de garde, Deutsch partageant une interview avec Jean Sévillia dans le Figaro, Dimitri Casali étant invité par Franck Ferrand et Stéphane Bern, qui offrira également tribune au comédien. Plus intéressant encore, la réception médiatique de ces livres, et surtout la façon avec laquelle les principaux médias ont relayé et commenté les critiques contre les historiens de garde, notamment la polémique sur Lorànt Deutsch et sa façon de présenter la bataille de Poitiers. Où l’on a vu un fort contraste entre internet et les mass médias.

SOLIDARITÉ ENTRE HISTORIENS DE GARDE

Nous avons développé précédemment la façon avec laquelle les historiens de garde se sont soutenus mutuellement en septembre, à l’occasion de la sortie du dernier Dimitri Casali, puis avec les contrevérités d’un Franck Ferrand ou d’un Stéphane Bern sur les allégements des programmes d’histoire.

Cette complicité s’est logiquement confirmée avec la sortie du livre de Lorànt Deutsch, Hexagone. S’il n’a pas été (encore) invité chez Franck Ferrand, le comédien a eu en revanche l’oreille et les compliments de Stéphane Bern (« À la bonne heure », RTL, 3 octobre 2013), tutoiements à l’appui, et soutien entre royalistes affirmé.

bern_deutsch

Le groupe Figaro a continué sa promotion de l’histoire de garde, d’abord en offrant une interview croisée entre Lorànt Deutsch et Jean Sévillia, avec pour cible principale l’enseignement de l’histoire, puis par un éloge du journaliste dans les pages du Figaro Histoire. Le comédien a lui aussi eu les honneurs, seul, du journal de Dassault, par une interview (27 septembre), puis par une carte interactive (11 octobre).

Franck Ferrand, à son tour, a apporté son soutien à Lorànt Deutsch au sujet de la bataille de Poitiers, affirmant :

Entre Nasr E. Boutamina qui affirme que la bataille n’est qu’un mythe, et Lorànt Deutsch qui défend sa réalité, tout en relativisant ses conséquences [NDA : notons que jamais le comédien ne « relativise » les conséquences de la bataille, bien au contraire], j’aurais tendance, pour ma part, à pencher du côté du second1.

En revanche, Lorànt Deutsch ne s’attendait pas forcément à avoir le soutien d’un autre historien de garde que nous évoquons dans notre livre, Éric Zemmour. Répondant au journaliste Laurent Bazin, qui lui demande « A qui la faute de la montée du FN ? », l’éditorialiste plaint « le pauvre Lorànt Deutsch » au bout d’une tirade dont il a le secret, et qui n’a rien d’anodine :

Les journaux cachent désormais les patronymes des délinquants […] D’autres professionnels patentés des droits de l’Homme expliquent doctement que c’est la faute au 11 septembre, et des historiens mettent au pilori le pauvre Lorànt Deutsch qui dans son dernier livre décrit la bataille de Poitiers en 732 avec des Sarrasins pillards et massacreurs. Il est bien connu que l’Islam a conquis alors la moitié de la planète (sic) en jetant des roses sur les populations énamourées2.

Que les historiens de garde se soutiennent et s’invitent les uns les autres n’est pas une surprise. En revanche, difficile de ne pas s’inquiéter de la façon avec laquelle les autres médias, et plus particulièrement la télévision et la radio, ont commenté la polémique sur la bataille de Poitiers, et donné à Lorànt Deutsch une tribune ouverte sans quasiment aucun avis contradictoire.

L’OFFENSIVE MÉDIATIQUE DE LORÀNT DEUTSCH

L’offensive médiatique de Lorànt Deutsch était programmée, et il est permis de penser que, sans « l’affaire bataille de Poitiers », le comédien aurait une nouvelle fois pu dérouler son discours sans aucune relance ou question gênante. Dans les deux semaines suivant la sortie de Hexagone, seul internet a accueilli les critiques du livre de l’acteur à travers une tribune dans le Huffington Post, un article de fond sur notre site (prolongeant seulement le papier paru sur le Huff), et une interview sur Bibliobs ont été publiés. Le comédien, lui, a pu faire la promotion de son livre, et asséner ses mensonges (notamment sur le prétendu engagement politique de ceux qui le critiquent) sur une batterie impressionnante de médias : Le Figaro, France Info, France Inter, RTL, Europe 1, France 5, France 2, Canal Plus, sans parler de la dépêche AFP reproduisant son discours qui a fait le tour des sites internet des journaux comme Le Point ou L’Express. Il a été également ouvertement défendu par des médias internet, comme les sites Atlantico.fr, Causeur.fr, et le très droitier Bdvoltaire.fr ou dans les pages du journal Valeurs Actuelles. Le site du magazine Historia s’est même fendu d’un curieux article (signé Vincent Mottez), qui prétendait chercher les erreurs reprochées à Deutsch dans Hexagone, alors que cela n’est en rien le fond des critiques…

"Le Decaux rigolo". Le sous-titre est là pour rendre sympathique L. Deutsch et son discours.
« Le Decaux rigolo ». Le sous-titre est là pour rendre sympathique L. Deutsch et son discours.

LES CHIENS DE GARDE À LA RESCOUSSE DE L’HISTORIEN DE GARDE

Nous avons pu assister à une sorte de remake de ce que nous avions remarqué en avril dernier, quand Lorànt Deutsch avait pu bénéficier de l’accueil complice de Maïtena Biraben sur Canal Plus. Mais en bien plus massif.

Lorànt Deutsch a globalement choisi quatre stratégies pour répondre :

  • Affirmer que ceux qui le critiquent sont une poignée de militants politiques encartés au Front de Gauche, manipulés ou envoyés par Alexis Corbière. Ils sont aussi jaloux et veulent se faire connaître.
  • Continuer à jouer sur la confusion conteur/historien/relais d’historiens, tout en affirmant son amour de la France et son impératif de transmission de l’histoire.
  • Refuser de se présenter comme militant ou idéologue, tout en faisant régulièrement l’apologie de la monarchie, défendant une vision de l’histoire de France qui n’a rien de « neutre ».
  • Une façon ambiguë d’assumer son point de vue sur la bataille de Poitiers, se réfugiant derrière « des historiens » (un en fait, Jean Deviosse, dont il simplifie la thèse), tout en déclarant qu’on ne le critique que sur une page du livre (seize en fait, en attendant la suite).

Pour dérouler son discours, Lorànt Deutsch a une méthode bien à lui : il assomme son interlocuteur de son débit rapide (censé montrer sa « passion »), n’hésite pas à dire tout et son contraire dans la même phrase (voire à nier des choses qu’il affirme dans son livre) ou d’une émission à l’autre, tout en distillant ses vérités de façon régulière. Une impression de confusion, trompeuse au final. Car l’essentiel est là, il a fait passer ce qu’il voulait dire, sur ceux qui l’attaquent tout comme sur sa vision de l’histoire et de la France.

Il peut compter pour cela sur certains journalistes ou animateurs, passifs, maladroits, quand ils ne sont pas carrément complices. Et qui parfois le défendent sans même l’inviter, empruntant ses arguments mot pour mot3. Aucun, par exemple, ne lui a demandé d’où sortait-il l’information selon laquelle les historiens qui l’attaquent sont d’extrême gauche. Aucun n’est venu vérifier auprès des intéressés. Quand, dans une émission, il se dit « historien », mais pas « universitaire » (et l’on sait le mépris qu’il a des universitaires, sauf évidemment pour les prendre comme caution quand ça l’arrange), et dans l’autre il affirme au contraire qu’il n’est « pas historien », mais « conteur », aucun journaliste ou animateur n’est là pour pointer la contradiction et lui demander un éclaircissement. Quand il refuse d’être montré comme un militant royaliste, mais qu’il enchaîne par une apologie des plus grandes démocraties européennes, « comme par hasard toutes des monarchies constitutionnelles », il n’a face à lui que sourires béats. Enfin, alors qu’il prétend parler de la bataille de Poitiers dans une seule page de son livre, et s’appuyer sur des travaux d’historiens, on cherche les précisions des animateurs (seulement une page ? Quels historiens ?), et les relances sur son adhésion à la théorie du choc des civilisations (qu’il nie sur France 2…). Évidemment, ne demandons pas à ces grands professionnels de relever les énormités historiques qu’il enchaîne à chaque émission, comme récemment l’origine du mot sans-culotte ou « Tours et Poitiers phares de la religion chrétienne » chez Ardisson sur Canal Plus, après le non moins fameux « Clovis athée » d’avril 2012 sur France Inter

Trois émissions ont été symptomatiques de ce traitement biaisé. Sur France 5 (chaine de la version télévisée du Métronome, ceci expliquant peut-être cela), dans le « C à vous » d’Anne-Sophie Lapix, ancienne journaliste devenue animatrice people ; sur France Info ensuite, chez Bernard Thomasson, où nous avons eu droit de poser une question (mais relayée, mal, par l’animateur), à laquelle Deutsch n’a pas répondu, sans que l’animateur ne le relance ; enfin, sur France 2, chez Laurent Ruquier, probablement l’épisode le plus éclatant de cette collusion entre chiens et historiens de garde. Nous renvoyons au remarquable article de Damien Boone sur Médiapart pour une analyse complète de l’émission, mais pour résumer on peut dire que les rôles ont été bien tenus : Natacha Polony a logiquement soutenu le comédien, malgré quelques réserves ; Aymeric Caron l’a assez vertement critiqué, mais avec un manque flagrant de munitions ; quant à Laurent Ruquier, il a fait preuve d’une complicité people que même Maïtena Biraben n’avait pas osée !

INTERNET, LES GUIGNOLS… QUELQUES ESPACES CRITIQUES

Le contraste a été flagrant dans le traitement de cette polémique entre les mass médias (télévision, y compris voire surtout publique, et principales radios) et internet. C’est en effet sur le web, et particulièrement sur les réseaux sociaux, que les articles critiques ont énormément circulé, avec le lot habituel de trolls et de tweets outranciers bien entendu. C’est aussi sur le net que les soutiens politiques à Deutsch, notamment ceux venant des Identitaires et de l’extrême droite, ont été le plus clairement affirmés. Reste qu’il est bien difficile de jauger l’impact réel d’internet sur le grand public, surtout en comparaison avec la télévision, et dans une moindre mesure la radio. Le web reste probablement une niche (en désordre qui plus est), quoi qu’on en dise, et si la télévision y puise certains de ses sujets, en particulier les polémiques, elle les passe au tamis pour le plus souvent purger ce qui pourrait menacer le discours dominant. Et c’est elle qui continue de toucher le plus grand nombre. Notons tout de même l’excellent reportage de France 3 Poitou-Charentes, qui a donné la parole à un historien local critiquant Deutsch, et fait le parallèle avec l’occupation de la mosquée de la ville par les Identitaires…

Quelques relais aux critiques sont cependant passés çà et là, permettant de sortir de l’omniprésence du discours unique de Deutsch et des autres historiens de garde. En premier lieu, sur France Culture, dans « La Fabrique de l’Histoire », et au « Grain à Moudre », où Aurore Chéry a pu s’exprimer, certes face à un historien de garde, Jean Sévillia, bien timide et loin d’assumer ses écrits ce jour-là. Sur France Inter, Guillaume Erner n’a pas invité d’historien pour parler de vulgarisation de l’histoire (Lorànt Deutsch aurait semble-t-il refusé de se retrouver face à certains d’entre eux…), mais le comédien a dû faire face à un François Reynaert sans aucune complaisance à son égard. Sur la radio Le Mouv’, au tout début de la polémique, l’animateur Thomas Rozec s’est fendu d’un édito assez cinglant et ironique.

Parmi les journaux, on peut citer Les Inrocks, ou Télérama, jusque-là hors de la polémique, qui a publié un décadrage peu aimable envers le comédien, même s’il relativise la pertinence des critiques à son égard. Le magazine Marianne a également critiqué l’angle choisi par Deutsch dans son livre. Et des journaux locaux (comme L’indépendant) ont dénoncé la façon avec laquelle le comédien traite de la bataille de Poitiers.

Enfin, et cela n’a certainement rien d’anodin, « Les Guignols de l’Info » se sont intéressés à cette histoire. Déjà, au printemps dernier, ils avaient diffusé quelques sketches se moquant du tout commercial de Métronome (le GPS Métronome, le Monopoly Métronome,…) et du côté « vieux jeune » de Deutsch. Ils ont franchi un cap avec « L’histoire par un Nul : 2000 d’archives revisitées en 2 jours d’écriture », sketch décliné plusieurs fois (et ce n’est sûrement pas fini).

Le bilan médiatique de cette rentrée des historiens de garde pourrait donc se résumer ainsi : ils gardent leur puissance de feu médiatique grâce aux chiens de garde, en tenant toujours l’essentiel des mass médias. Mais, quand on parvient à déclencher un contre-feu plutôt que de rester spectateur ou de refuser d’entrer dans le jeu médiatique, le relais se fait, principalement sur internet, et parvient peu à peu à infuser. Il est encore trop tôt, cependant, pour savoir quel sera le véritable impact de cette polémique. Et Hexagone sera certainement l’un des livres les plus offerts durant les fêtes, une fois de plus. Les gens en sauront en revanche un peu plus sur la nature de son propos et sur les buts de son auteur.

LES SOUTIENS POLITIQUES : UN PEU PLUS LOIN SUR LA DROITE

Du côté des politiques, les plus en vue qui avait soutenu Lorànt Deutsch et son Métronome, comme Bertrand Delanoë ou Robert Hue, se sont montré discrets. Seuls se sont exprimés, tout comme lors de la polémique de juillet 2012 à la mairie de Paris, nombres de groupes d’extrême droite, et non des moindres, pour défendre le contenu d’Hexagone.

C’est sur twitter que les soutiens se sont affichés le plus clairement. Ainsi, Fabrice Robert, président du Bloc Identitaire jadis condamné pour négationnisme, s’est-il changé en véritable VRP d’Hexagone dès sa sortie, le 30 septembre 2013, en déclarant : « Les biens-pensants ne l’aiment pas. Procurez-vous vite Hexagone, le dernier livre de Lorànt Deutsch. »

Lorant_Deutsch_Fabrice_Robert

Propos immédiatement repris par Guillaume Delefosse, responsable local cannois du Bloc Identitaire, preuve que le soutien au livre de Lorànt Deutsch n’est pas la lubie d’un membre, mais bien d’une stratégie bien définie d’un groupe politique qui n’avait pas hésité à reprendre les inventions de l’acteur quant à la cathédrale souterraine fondée par saint Denis4.

Image 7

Lorànt Deutsch, on le sait, ne cesse de crier sur tous les toits qu’il « déteste la manière dont l’extrême droite récupère et instrumentalise [son] travail pour faire parler d’elle. » comme ici au Point, le 14 octobre 2013. Il n’empêche, aucun des journalistes qui le reçoivent ne semble s’interroger sur les raisons qui poussent une partie de cette famille politique à se servir des livres de l’acteur comme porte étendard.

La réponse est pourtant simple et vient des rangs du Front National. Si le parti n’a pas soutenu officiellement Lorànt Deutsch, des militants et des sections locales ne s’en sont pas privés. Ainsi, le compte twitter officiel du FN Charente-Maritime (17) déclare ironiquement que « Lorànt Deutsch aggrave son cas et ose parler de notre identité. » Sans doute cette section a-t-elle apprécié le soutien de l’acteur à la théorie du génocide vendéen5, qu’une proposition de loi du 16 janvier 2013 soutenue par Marion Maréchal-Le Pen visait à faire reconnaître.

Lorant_deutsch_front_national

Mais la réaction la plus instructive reste celle de Karim Ouchikh, conseiller de Marine Le Pen à la Culture, à la Francophonie et à la Liberté d’expression6 qui, a travers son compte Twitter, le 14 octobre 2013, plaint un Lorànt Deutsch « encore victime de la détestable pensée unique. »

Karim_Ouchikh_Lorant_Deutsch

Karim Ouchikh est une des rares figures lepénistes à s’exprimer régulièrement sur l’Histoire et à ébaucher un semblant de discours sur la discipline et son enseignement. Ainsi, le 27 décembre 2012, déplorant l’arrêt du projet de Maison de l’Histoire de France initié par Nicolas Sarkozy, écrit-il sur le site officiel du Front National que :

La France a besoin de ressouder nos compatriotes, si désemparés par ces temps de crise, autour d’un roman national fédérateur, d’une histoire qui tourne le dos aux innombrables accès de repentance qui contaminent tant les discours officiels actuels, d’un récit passionné dont le contenu éminent ne se confondrait pas avec les disciplines historiques scientifiques qui doivent être sanctuarisées.

On l’aura compris, dans l’esprit de Karim Ouchikh, les disciplines historiques doivent être sanctuarisées, c’est-à-dire réservées à une petite élite ghettoïsée. Le reste de la population aura, quant à lui, accès un roman national défini comme un « récit passionné » s’opposant (« qui ne se confondrait pas ») avec l’histoire scientifique. Bref, un récit identitaire et passionnel, faisant peu de cas de la nuance scientifique, cher à l’ensemble des historiens de garde, Lorànt Deutsch compris7.

Mais de quel récit parle-t-on ? Karim Ouchikh ne fait pas grand mystère du contenu de ce « récit passionné ». Ainsi, sur le site ripostelaique.com le 19 mars 2012, explique-t-il que :

Si elle veut défendre et faire partager son modèle de civilisation, la France ne fera pas l’économie, ensuite, d’un examen de conscience authentique, ce qui la conduira à discerner et à assumer politiquement les traits profonds de son identité. Chacun devra reconnaître ainsi que le modèle singulier de notre pays repose sur quelques caractères intangibles, encore vivaces, que nul ne saurait lui discuter : un héritage historique indivis qui comporte une dimension chrétienne prééminente ; l’unité sourcilleuse d’un territoire dont la cohérence géographique se conjugue à la diversité de ses terroirs ; le poids déterminant d’un État puissant qui assume pleinement sa fonction régulatrice.

L’Histoire, selon le conseiller de Marine Le Pen, n’est qu’une manière de prôner le retour à une société chrétienne :

En somme, dans la compréhension du modèle de civilisation de la France, – l’« être français » en quelque sorte – l’affirmation de la prééminence de l’identité chrétienne de notre pays me paraît centrale, ce qui n’est en rien inconciliable avec le principe de laïcité qui impose aux pouvoirs publics une obligation de neutralité à l’égard des religions : dès lors, si les religions demeurent égales en droit, d’un point de vue strictement réglementaire, elles ne sauraient l’être en réalité dans l’esprit des Français, au regard de la mémoire de notre pays…

Karim Ouchikh prône ainsi la célébration d’une France par essence chrétienne8. Ce discours n’est pas sans rappeler les propos de nombre d’historiens de garde, de Max Gallo à Lorànt Deutsch, qui affirmait ainsi en juillet 2012 que « la religion est le creuset de notre identité »9.

Si Lorànt Deutsch n’est ni adhérent au Front National ou au Bloc Identitaire, remarquons pour conclure, que ces derniers ne récupèrent pas l’acteur insidieusement, en détournant un propos malencontreux. Ils se reconnaissent au contraire dans son récit mythifié et identitaire d’une France éternelle qui fait avancer, grâce à la complicité ou à la passivité de la très grande majorité des médias audiovisuels, les idées d’une extrême droite décomplexée.

William Blanc et Christophe Naudin

  1. La Nouvelle République, 22 octobre 2013
  2. RTL, 10 octobre 2013
  3. comme par exemple l’équipe d’Ariane Massenet, sur D8, le 11 octobre
  4. Voir « La cathédrale au fond du parking » dans Les Historiens de garde, p. 51-62, notamment p. 59-60.
  5. Voir Les Historiens de garde, p. 75-78.
  6. Rappelons au passage que, pour beaucoup de cadre frontiste, la « liberté d’expression » passe par l’abolition des lois mémorielle, notamment celles concernant la Shoah.
  7. Voir Les Historiens de garde, p. 24-26.
  8. Caractéristique que chaque Français se devrait de reconnaître dans son « esprit » (est-ce à dire que ceux qui ne se reconnaîtraient pas dans ce christianisme historique seraient de mauvais citoyens ?)
  9. Voir Les Historiens de garde, p. 78-83.

Malheurs actuels de l’Histoire : « Valeurs Actuelles » et le roman national

Après le numéro hors-série de L’Express qui en appelait à un « roman de l’Hexagone », c’est au tour du magazine Valeurs Actuelles de s’intéresser à l’histoire de France, et plus spécialement à l’histoire enseignée. Comment celle-ci est-elle vue par un journal mêlant valeurs réactionnaires et apologie du néolibéralisme économique ?

DES UNES « CHOCS » DE VALEURS ACTUELLES À RENAUD CAMUS

Image 1 : Couverture de "Valeurs Actuelles" du 26 septembre 2013
Image 1 : Couverture de « Valeurs Actuelles » du 26 septembre 2013

Depuis quelques mois, le magazine a clairement adopté un angle plus que droitier1 notamment dans ses Unes, reprenant souvent mot pour mot le discours de l’extrême droite, sur des sujets comme les Roms ou plus encore l’islam (image 1). Ainsi, cette couverture mettant en scène une Marianne voilée, avec des titres sans ambiguïté sur les dangers d’une « invasion » musulmane par les naturalisations, et le risque à terme d’un « changement » de peuple dont la gauche serait complice. L’allusion au « grand remplacement » de l’écrivain Renaud Camus, qui voit dans l’immigration une opération de « changement de peuple » et de « réensauvagement de l’espèce2 » est limpide. Ce grand remplacement serait accompagné d’un « grand effacement » qui viserait à détruire l’histoire de France. Comme l’explique le même Renaud Camus.

Le Grand Effacement me va très bien. C’est ce que j’ai appelé moi-même l’enseignement de l’oubli, l’industrie de l’hébétude, la Grande Déculturation. On en revient toujours à la formule que je rabâche exagérément, mais il y a de quoi : « Un peuple qui connaît ses classiques ne se laisse pas mener sans révolte dans les poubelles de l’histoire »3.

La connexion est donc implicitement faite entre une immigration assimilée à une colonisation et une opération qui viserait à annihiler l’histoire de France4. La Une de Valeurs Actuelles est un résumé de cette théorie (image 2). Elle pointe à la fois ce qui est en train de disparaître et désigne en même temps les responsables. L’image de Charles Martel, héros des islamophobes et des groupes d’extrême droite comme les identitaires, symbolise cette « histoire piétinée » qui se résume en fait à une litanie de grands personnages, les mêmes que ceux célébrés par les historiens de garde comme le montre la liste en bas à droite de la Une : Clovis, Saint Louis, Louis XIV et Napoléon.

Image 2 : Couverture de "Valeurs Actuelles" du 5 décembre 2013
Image 2 : Couverture de « Valeurs Actuelles » du 5 décembre 2013

Le coupable de l’effacement est clairement désigné : la gauche. Elle « [piétine] » les « héros français », et « [massacre notre histoire »]. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelle gauche. Comme le montrent les titres dans la partie supérieure de la page, c’est la « gauche antiraciste », et surtout Christiane Taubira qui est visée. Car si la ministre de la Justice est l’ennemie jurée des opposants au mariage pour tous, elle l’est aussi des chantres d’une histoire nationale purgée de la « repentance droits de l’hommiste ». C’est Max Gallo qui, le premier, l’a prise pour cible dans son livre L’âme de la France (publié en 2007) car elle a été à l’initiative de la loi reconnaissant l’esclavage et la traite comme crime contre l’humanité en 2001.

Aussi, le propos du dossier de Valeurs actuelles est simple5 : désigner des coupables et revenir à des fondamentaux qui se résument à livrer une vision héroïque des faits (d’arme) des « grands hommes ». A été mobilisée pour l’occasion la cohorte habituelle des historiens de garde, de Dimitri Casali à Vincent Badré. Avec même un « petit nouveau », Philippe de Villiers, dont nous avions parlé dans un précédent article. Notons au passage que le dossier a été coordonné par Fabrice Madouas, auteur entre autres d’un livre-entretien avec Jean de France, (Un prince français, Pygmalion, 2009), prétendant orléaniste au trône de France et proche de Lorànt Deutsch6. Le monde des historiens de garde est décidément bien petit.

« HISTOIRE : NOTRE MÉMOIRE MASSACRÉE »

Le dossier de Valeurs Actuelles commence fort avec cette confusion entre histoire et mémoire, qui n’a évidemment rien d’anodin. Pour les historiens de garde, le rôle de l’histoire est avant tout de célébrer une mémoire collective.

La gauche voudrait donc, selon Fabrice Madouas, « [priver] le peuple français de sa mémoire », par une « entreprise de déracinement » et un effacement des héros nationaux des manuels scolaires. Autre confusion, cette fois entre manuels scolaires et programmes, mais qui n’est pas étonnante, l’une des références prises pour l’article étant Vincent Badré, auteur d’un « livre très fouillé » dixit F. Madouas, L’histoire fabriquée, que d’autres ont démonté point par point sur le site aggiornamento.hypotheses.org. L’autre historien de garde appelé à la rescousse est sans surprise Dimitri Casali qui, hasard du calendrier sans doute, publie un énième ouvrage, cette fois sur Napoléon.

Après une introduction où la France actuelle est comparée à l’Union Soviétique où l’on truquait les photos officielles, Fabrice Madouas reprend les grosses ficelles du discours des historiens de garde sur l’enseignement, souvent des contrevérités : la chronologie (citant Michel Debré, « l’histoire, c’est d’abord la chronologie ») et le récit auraient ainsi disparu, tout comme les grands hommes, « effacés » ou relégués en « option », tel Napoléon. Guère étonnant non plus la référence à Max Gallo, qui avait vu « les carences de l’enseignement de l’histoire » dès 1983.

Les « pédagogistes abscons » et « l’école des Annales » seraient les principaux coupables (on doit donc comprendre qu’en plus de Christiane Taubira, ce sont eux « la gauche »), confondant « salle de classe et laboratoire de recherche ». Le journaliste s’appuie ici sur Jean-Rémi Girard, du SNLAC (Syndicat National des Lycées et des Collèges, classé à droite), qui déplore « la vision de l’histoire très universitaire [des concepteurs des programmes] ». L’une des antiennes des historiens de garde est en effet de séparer histoire universitaire et histoire pour le grand public, y compris scolaire, cette dernière ayant pour seul but l’adhésion, en rien l’esprit critique. On retrouve là les propos récents de Karim Ouchikh, conseiller de Marine Le Pen à la Culture, à la Francophonie et à la Liberté d’expression qui promeut pour le grand public un roman national qui « ne se confondrait pas avec les disciplines historiques scientifiques ».

La deuxième partie de l’article s’attaque plus directement à « la vision idéologique de l’histoire [par la gauche], qu’il faudra corriger pour restaurer cet enseignement » (sic). Principales cibles : Christiane Taubira et les « lois mémorielles ». Fabrice Madouas loue les anciens historiens républicains du XIXe siècle et du début du XXe, qui ne « rejetaient pas l’héritage de la monarchie ni l’héritage chrétien ». Il se situe ainsi dans le même discours que Max Gallo, et sa volonté de fusionner roman national républicain et roman national monarcho-chrétien. L’ennemi est donc ceux qui défendent « une histoire amputée, manichéenne » (dixit Casali), comme Christiane Taubira et sa « désastreuse loi » (critiquée à l’époque, entre autres, par Pierre Nora). Le fait que cette loi ne mentionnerait que la traite pratiquée par les Européens et pas les traites interafricaines ou musulmanes prouverait, selon les historiens de garde, que le but de Taubira serait uniquement de culpabiliser les Français et de les forcer à la repentance. Bien entendu, l’article « oublie » de dire que suite à cette loi, si la traite atlantique a été mise dans le programme de 4e, les traites interafricaines et musulmanes sont au programme de 5e. Peu importe, il s’agit pour Valeurs Actuelles de pointer cette histoire qui ne penserait qu’aux victimes, au détriment des héros, se transformant en une « longue plainte profondément démoralisante » pour les Français, selon Vincent Badré7.

Que propose alors le magazine pour sauver cette mémoire de la France ?

LE PANTHÉON DES HÉROS À RÉHABILITER

Principal (unique ?) axe des programmes version Valeurs Actuelles : la réhabilitation de certains héros, « expulsés ou relégués au second plan » par l’histoire gauchiste. Les choix sont sans surprise : il n’est question que d’hommes8 occupant des positions royales ou de commandement.

  • Vercingétorix, loué ici parce qu’aujourd’hui « marginalisé [alors qu’il est] un héros, un chef courageux, un combattant qui a fait le choix de l’action guerrière pour préserver sa culture ».
  • Clovis évidemment. Selon Casali, « le héros franc a jeté les bases spirituelles, dynastiques, politiques et culturelles de la monarchie française et de notre nation ». Pour Denis Tillinac, Clovis nous aurait placés « dans le giron d’une catholicité romaine qui a formaté l’essentiel de nos valeurs et de nos mœurs ». Mieux, selon le trio de journalistes chargé de l’article, Clovis prouve que « la France était chrétienne avant d’être la France, et c’est même seulement grâce à cela qu’elle a pu devenir la France ».
  • Charles Martel, ce « résistant réprouvé », qui semble redevenir à la mode. Son mérite, avoir fait en sorte que les musulmans ne s’installent pas durablement dans le sud de la France, permettant ainsi de limiter l’apport de la culture islamique à l’Europe. Selon les journalistes de Valeurs actuelles, Charles Martel aurait été écarté des programmes pour « ne pas choquer les élèves issus de la sphère arabo-musulmane ». Même propos dans la bouche d’un candidat frontiste aux municipales dans le 3e arrondissement de Paris cité page 20 de l’hebdomadaire (donc en dehors du dossier consacré à l’histoire, preuve que la figure de Charles Martel est un lieu commun du discours d’extrême droite) pour qui « Il ne faut surtout pas parler de Charles Martel arrêtant les Arabes à Poitiers, ça risquerait de froisser les musulmans ! ». Pourtant, Charles Martel n’a pas toujours été mis en avant dans l’enseignement scolaires. Ainsi, il est absent de la version définitive du Petit Lavisse (Histoire de France : cours élémentaire, Armand Colin, 1913). Pareillement, quarante ans plus tard, il n’est pas cité par Paul Bernard et Frantz Redon, dans Notre premier livre d’histoire. Cours élémentaire, (image 3 – F. Nathan, 19509). La disparition que déplore l’hebdomadaire est donc bel et bien fictive.
Image 3 - Paul Bernard et Frantz Redon, "Notre premier livre d'histoire. Cours élémentaire", F. Nathan, 1950, p. 14 et 15. Les pages précédentes et suivantes ne parlent pas de Charles Martel.
Image 3 – Paul Bernard et Frantz Redon, « Notre premier livre d’histoire. Cours élémentaire », F. Nathan, 1950, p. 14 et 15. Les pages précédentes et suivantes ne parlent pas de Charles Martel.
  • Louis XIV, Roi-Soleil victime d’une éclipse, car relégué en fin de 5e. Là, la référence de Valeurs Actuelles est claire, puisque c’est Jacques Bainville10 qui est appelé pour défendre le monarque absolu : « [Versailles était] le symbole d’une civilisation qui a été pendant de longues années la civilisation européenne, notre avance sur les autres pays étant considérable et notre prestige politique aidant à répandre notre langue et nos arts ».
  • Napoléon, « aigle foudroyé » depuis la polémique de 2005 autour du bicentenaire de la bataille d’Austerlitz11.
  • Charles de Gaulle, ce « bâtisseur ignoré », en particulier le président de 1958, soupçonné par la gauche, selon Valeurs Actuelles, de vouloir rétablir, avec la Cinquième République, une forme de royauté.

SAINT LOUIS ET PHILIPPE DE VILLIERS

Plutôt qu’un article sur Louis IX, ou une référence à l’édition en poche de la fabuleuse biographie signée Jacques Le Goff12, le journaliste Éric Branca propose de célébrer le travail de Philippe de Villiers sur le roi capétien13. L’ancien ministre, ami du théoricien du génocide vendéen Reynald Secher, est comparé ici à Plutarque ! Branca ne peut s’empêcher une allusion au débat sur le mariage pour tous, « loi piétinant plusieurs millénaires d’acquis anthropologiques », et résume la thèse de de Villiers sur le Capétien. On croit rêver quand il affirme que le Moyen Âge était la période durant laquelle « la laïcité marchait main dans la main avec la piété » ! Villiers a également une vision quelque peu surprenante des croisades, motivées par « la défense de la liberté de conscience des chrétiens d’Orient face à une forme de totalitarisme14 » !

LA « NOUVELLE HISTOIRE » DE DIMITRI CASALI

Bouquet final de ce dossier sur l’enseignement de l’histoire, une interview de Dimitri Casali, appuyée sur une enquête récente (et contestée) faisant état d’une baisse de niveau des collégiens en histoire.

Dans cet entretien, Casali déroule son discours habituel, sur lequel il n’est pas utile de s’attarder : l’histoire ne passionnerait plus les élèves car elle aurait abandonné le « récit plein d’émotion et de fureur » au profit des « courbes statistiques » issues d’une « mauvaise réception de l’enseignement de l’école des Annales ». Autres coupables : la repentance et le politiquement correct pour complaire aux « nouvelles populations d’élèves, celles qui refusent d’entrer dans une cathédrale ». Il milite lui pour « une nouvelle histoire, équilibrée et sereine », et en profite pour défendre Lorànt Deutsch contre les attaques, se réjouissant de la transe qui emporte le comédien quand il touche une pierre de la cathédrale de Saint-Denis.

L’ICONOGRAPHIE HISTORIQUE DE VALEURS ACTUELLES

Image 4 : "Valeurs Actuelles", 5 décembre 2013, p. 29. Mise en avant par l'iconographie d'une histoire coloniale catholique et foncièrement positive.
Image 4 : « Valeurs Actuelles », 5 décembre 2013, p. 29. Mise en avant par l’iconographie d’une histoire coloniale catholique et foncièrement positive.

Les choix iconographiques de Valeurs actuelles appuient le propos de fond et en disent parfois plus long que les textes. Outre la couverture (image 2), reprenant une gravure de Charles Martel non datée, mais faite d’après un modèle de Georg Bleibtreu (1828–1892), l’hebdomadaire reprend également deux peintures sur toile du XIXe siècle afin de parler de Vercingétorix (celle de Lionel Royer déjà repris dans le Dictionnaire amoureux de l’Histoire de France de Max Gallo) et du cardinal Richelieu (celle de Henri Paul Motte réalisée en 1881). S’ajoute à cela sur une double page quelques extraits tirés, selon Valeurs actuelles, d’un manuel d’histoire des années 50 que nous n’avons pas pu identifier (image 4). Ce choix n’a rien d’anodin. Sur les cinq pages, il est surtout question, on ne s’en étonnera pas, de grandes figures de l’histoire nationale. Néanmoins, la page au premier plan traite de la colonisation, sujet qui n’est pas mis en avant dans le dossier et qui n’apparaît qu’au rez-de-chaussée d’une des pages finales (p. 34), dans un court encart. On comprend facilement que le propos iconographique est inverse. Il s’agit au contraire de mettre en avant la réhabilitation d’une image essentiellement (voire uniquement) positive de la colonisation, qui se résumerait à l’action humaniste de missionnaires catholiques.

Image 5 : "La France - Histoire curieuse et insolite." Une imagerie passéiste dans laquelle le professeur pointe à deux élèves (deux garçons) directement vers le grand homme du passé.
Image 5 : « La France – Histoire curieuse et insolite. » Une imagerie passéiste dans laquelle le professeur pointe à deux élèves (deux garçons) directement vers le grand homme du passé.

Le choix de ces images a ainsi comme fonction de plonger le lecteur dans une forme de nostalgie. La pratique n’est pas nouvelle. Lors de la dernière rentrée, Le Figaro Histoire avait ainsi rempli son dossier sur l’enseignement de l’histoire d’illustration de Job (1858-1931). Nous remarquons néanmoins que l’année 2013 marque un accroissement de ce type de pratique, comme le montre la réédition du Petit Lavisse sous forme de fac-similé, mais aussi la parution aux éditions Ouest-France d’un ouvrage intitulé La France Histoire curieuse et insolite. La couverture de ce dernier ouvrage s’évertue à donner une image idéalisée d’un passé où tout allait bien, où les élèves obéissaient à leur maître d’école (image 5 – les personnages, d’ailleurs, semblent tout droit sortis des années 5015). Face à un présent complexe, nécessitant une réflexion importante, face à une histoire qui elle aussi se complexifie, la nostalgie mémorielle devient aussi, et peut-être surtout, un repère facilement commercialisable.

Valeurs actuelles justifie le choix de ces images en expliquant qu’il s’agit de « repères parfois naïfs, mais nécessaires à la conscience nationale. » Sans entrer dans le débat de fond (l’histoire a-t-elle comme seule fonction de créer de la conscience nationale ?) notons simplement que la conception d’images scolaires n’est pas un choix naïf, mais au contraire, un projet mûrement réfléchi16. Représenter Vercingétorix et Clovis avec des accoutrements similaires (notamment le casque ailé) marque ainsi une continuité entre les deux personnages. Représenter Jeanne d’Arc durant l’épisode des voix plutôt que sa confrontation au dauphin révèle aussi un parti pris des concepteurs du manuel. Faire une pareille analyse relève de l’histoire la plus basique, facilement accessible à tous. Une ambition qui n’est pas celle de la rédaction de Valeurs actuelles, qui préfère vendre des mythes nostalgiques à ses lecteurs.

UNE RADICALISATION

Ce dossier de Valeurs Actuelles sur l’enseignement de l’histoire n’apporte finalement pas grand-chose au discours des historiens de garde. Sur le fond, ce n’est guère différent de L’Express ou du Figaro Histoire. Par contre, le discours se clarifie et les cibles encore plus clairement identifiées : la gauche et l’immigration. Enfin, les sources du discours deviennent de plus en plus claires : c’est chez les Identitaires et Renaud Camus que Valeurs Actuelles et Dimitri Casali vont puiser leur inspiration et leur grille d’analyse. On peut donc légitimement s’interroger ? Pourquoi Dimitri Casali continue-t-il d’être invité dans les médias de masse comme « spécialiste de l’enseignement de l’histoire », avec pratiquement jamais quelqu’un pour lui porter contradiction. Et pourquoi Vincent Badré a-t-il participé au dernier numéro de la revue Le Débat, dirigée par l’historien Pierre Nora17 ?

Christophe Naudin & William Blanc

  1. Voir à ce titre « “Valeurs actuelles”, le cabinet noir de la droite dure », lesinrocks.com, 12 novembre 2013.
  2. Voir « Révoltez-vous non de Dieu », Bdvoltaire.fr, le 10 septembre 2013.
  3. Idem.
  4. On remarquera au passage que les Identitaires (groupuscules d’extrême droite) ont été à notre connaissance les premiers à avoir employé le terme « d’effacement » à propos de l’histoire, en août 2010. L’oubli de la « cathédrale » souterraine où officiait saint Denis (qu’aurait redécouvert Lorànt Deutsch) par les pouvoirs publics serait une trace, selon eux, « la preuve de l’effacement progressif de ces “traces identitaires”. » Voir au sujet de cette pseudo cathédrale le chapitre I des Historiens de garde et la page bonus qui lui est consacré sur notre site.
  5. Le dossier se situe p. 28-36 du magazine. Toutes les citations, sauf indication contraire, sont tirées de ces pages.
  6. Voir cet article du site lafautearousseau.hautetfort.com relatant la venue de l’acteur et du prétendant à la basilique de Saint-Denis. Cette rencontre semble avoir lieu lors du tournage de Métronome TV en 2012.
  7. La conclusion de l’article enfonce le clou. Le problème est bien l’étude d’autres civilisations, africaines notamment, mais plus encore de l’Islam. Dans une référence implicite à la thèse de Sylvain Gouguenheim, Fabrice Madouas caricature l’enseignement d’un Islam savant ayant eu un rôle important dans le développement scientifique de l’Europe, et fait croire qu’en 6e (alors que l’Islam est abordé en 5e) on apprend aux enfants que l’Islam n’a progressé que grâce à sa tolérance.
  8. À part un petit encart sur Jeanne d’Arc.
  9. Sa figure est toutefois remplacé par celle de Roland, tué à Roncevaux par des Sarrasins en 778. Or, il est admis aujourd’hui que Roland avait plutôt affronté des Vascons.
  10. Journaliste d’Action française mort en 1936, qui reste LA référence, peu avoué, des historiens de garde. Voir Les Historiens de garde, chapitre V.
  11. Lancé notamment par Max Gallo. Voir l’article suivant.
  12. Saint Louis, Gallimard, 1996.
  13. Quoi de plus normal, le journaliste ne’est rien de moins que le biographe de l’ancien ministre, Le mystère Villiers, Éditions du Rocher, 2006.
  14. Pour un vision un peu plus sérieuse des croisade, on lira avec plaisir le petit livre d’Alessandro Barber, Histoires des croisades, Flammarion, 2010.
  15. Le contenu, lui aussi, est fait pour plonger le lecteur dans une image idéalisée de l’école de l’Après-guerre. Comme l’explique une note du site plus.lefigaro.fr (le 9 janvier 2013) : « Les auteurs, tous les deux professeurs d’histoire, ont voulu retracer l’évolution historique de la France, à la manière des très anciens manuels qui mettaient très naturellement l’accent sur les dates, les lieux, en faisant appel à la mémoire. De nombreuses cartes pour montrer l’évolution géographique de la nation. Des dates – et des jeux pour les mémoriser de façon amusante. Des reproductions de  » bons points » sont prévus pour les  » élèves méritants » ! » Texte en gras souligné par nos soins.
  16. Y compris en optant pour une représentation « naïve » des événements.
  17. Notons néanmoins que Pierre Nora a eu des mots très durs à l’encontre du numéro de Valeurs Actuelles dont nous parlons dans l’émission La Grande Table, France Culture, 6 décembre 2013. « C’est pas vrai que l’histoire est massacré dans l’enseignement. Absolument pas. Elle est cultivée, elle est difficile, elle est compliquée… elle n’est pas massacré, c’est absurde. C’est (la couverture de Valeurs actuelles. NdA) inspiré par un nationalisme archaïque, béat, désuet et grotesque. »

Lorànt Deutsch, la Croix et le Croissant

Après notre travail sur Métronome, il était tentant de vouloir passer à autre chose et d’éviter de devenir les spécialistes ès Lorànt Deutsch, tant les enjeux dépassent de loin ce personnage.

Pourtant, force est de constater qu’il est impossible, après une première lecture, de rester sans réaction, même si le livre tombe une nouvelle fois des mains, par son style, et surtout par un fond encore plus problématique que le précédent.

Nous avons donc choisi, pour cette première analyse critique du livre Hexagone, de nous concentrer sur le chapitre « Le Croissant et le Marteau » (p. 219-235), consacré à la bataille de Poitiers (celle de 732) qui, lui d’être un événement anodin, a été l’objet d’une de nombreuses  récupérations politiques.

LA CONQUÊTE MUSULMANE SELON LORÀNT DEUSTCH : MASSACRES ET TRANSFORMATION DES LIEUX DE CULTE EN MOSQUÉES

Contrairement à Métronome, Lorànt Deutsch propose cette fois une bibliographie de quelques pages, assez pléthorique, dans laquelle les biographies tiennent une place importante, et où il n’est guère étonnant de croiser Jacques Bainville ou Pierre Gaxotte.

Pour la bataille de Poitiers, il semblerait que le comédien se soit essentiellement basé sur la biographie de Charles Martel par Jean Deviosse. Si l’édition indiquée date de 2006 (chez Tallandier), il faut savoir que les premières éditions de cet ouvrage datent de la fin des années 701. Un détail important car, depuis, les recherches historiques sur cet événement ont évolué.

Lorànt Deutsch présente ainsi le contexte dans lequel va se dérouler la célèbre bataille :

 L’islam conquérant a quitté les terres désertiques d’Arabie pour se lancer à l’assaut du monde. Les Arabes – les Sarrasins, disent les chrétiens – ont occupé l’Espagne au nom d’Allah le Miséricordieux et, en vertu de la foi qui doit se propager partout, ils ont transformé églises et synagogues en mosquées. (p. 223)

Passons pour l’instant sur le style et le choix du vocabulaire, sur lesquels nous reviendrons. La présentation pose déjà quelques problèmes. Deutsch met l’accent sur le caractère religieux de cette expansion, alors que la réalité est un peu plus complexe. Les conquêtes avaient avant tout une dimension politique et impériale, qui plus est dans un contexte difficile pour les conquérants. Tout d’abord, la dynastie omeyyade commençait à connaître des difficultés dues à l’immensité des territoires conquis (elle est d’ailleurs renversée par les Abbassides moins de vingt ans après Poitiers) et, surtout, la conquête de la rive sud de la Méditerranée, du Maghreb puis de l’Espagne, s’est faite en plusieurs fois, entrecoupée de crises au sein de l’empire musulman, et de résistances (comme celle de la Kahina). Si l’avancée a été rapide pour l’époque, ce n’est pas tout à fait le rouleau-compresseur que nous présente Deutsch. Mais l’important pour le comédien est le caractère spectaculaire, et un sentiment de danger imminent venant de peuplades reculées, voulant effacer les autres religions que la leur.

La Bataille de Poitiers, huile sur toile, Charles de Steuben (1837). Une vision classique de l'affrontement, insistant sur l'aspect religieux et grandement influencée par la conquête contemporaine de l'Algérie par les troupes de Louis-Philippe et par l'orientalisme.
La Bataille de Poitiers, huile sur toile, Charles de Steuben (1837). Une vision classique de l’affrontement, insistant sur l’aspect religieux (le calvaire à gauche), grandement influencée par la conquête contemporaine de l’Algérie par les troupes de Louis-Philippe et par l’orientalisme.

Plus important en effet que les détails de la conquête musulmane, c’est la dimension religieuse, et les méthodes que le comédien attribue aux Arabes qui interpellent. Il les accuse d’avoir « transformé églises et synagogues en mosquées » (p. 223). Si effectivement il y a eu ce genre de décisions de la part des musulmans, l’un des aspects les plus fondamentaux, et ce sans l’idéaliser, est leur relative tolérance envers les chrétiens et les juifs. Ces derniers ont pu en général conserver leurs lieux de culte, et ils ont dû subir en échange le statut de dhimmi, basé essentiellement sur le paiement d’un impôt et la reconnaissance du pouvoir mis en place.

En Espagne, la conquête a été possible en partie grâce à l’alliance d’un chrétien, le comte Julien, avec les musulmans, contre le roi wisigoth Roderic (ou Rodrigue). La passivité de la population wisigothique, voire parfois le ralliement de certains habitants, auraient précipité la chute de la monarchie wisigothique. L’exemple du traité de Tudmir (714), signé entre un noble wisigoth et le futur gouverneur d’Al Andalus est à ce titre très parlant :

 Au nom d’Allah le Miséricordieux (…). Écrit adressé à Tudmir b.’ Abdush (le noble wisigoth. NdA). Ce dernier obtient la paix et reçoit l’engagement, sous la garantie d’Allah et de son Prophète, qu’il ne sera rien changé à sa situation, ni à celle des siens. Que son droit de souveraineté ne lui sera pas contesté ; que ses sujets ne seront ni tués, ni réduits en captivité (…) qu’ils ne seront pas inquiétés dans la pratique de leur religion ; que leurs églises ne seront ni incendiées, ni dépouillées de leurs objets de culte2.

On est donc loin de la conquête violente et de la persécution religieuse…

Plus loin, Lorànt Deutsch enfonce le clou sur les méthodes de conquêtes des musulmans :

Franchissant les Pyrénées, Coran dans la main, cimeterre dans l’autre, ils ont envahi Narbonne et sa région, massacrant les défenseurs de la ville, envoyant femmes et enfants en esclavage, offrant terres et habitations à des milliers de familles musulmanes venues d’Afrique du Nord (p. 224).

Une fois encore, Deutsch veut insister sur la violence des conquérants. Or, il semble se baser sur L’Histoire Générale du Languedoc, ouvrage datant du XVIIIe siècle, et qui opposait la violence musulmane à la brillante résistance chrétienne. « Semble » car ce livre n’est pas cité dans sa bibliographie, et que Deutsch reprend à son compte et à sa façon le travail de Jean Deviosse sur Charles Martel. Pourtant, il aurait pu lire Philippe Sénac, qui affirme qu’il « est difficile de souscrire à cette opinion qui repose sur la volonté de valoriser la résistance chrétienne tout en noircissant l’adversaire3. » Une nouvelle fois, le comédien s’accommode des sources, les trie et leur fait dire ce qu’il veut bien qu’elles disent…

UNE RAZZIA OU UNE CONQUÊTE ?

chocIl semble également avoir fait son choix sur les raisons de l’incursion des Arabes en Aquitaine. Ainsi, méprisant les travaux les plus récents des historiens (on y reviendra), il affirme que le but des Arabes était bien de conquérir la Gaule :

La Gaule serait-elle à prendre elle-aussi ? (p. 224)

Deutsch parle plus loin d’une « population d’hommes, de femmes, d’enfants et d’esclaves pressés de prendre possession des futures terres occupées. » (p. 225) Les musulmans sont ainsi des « envahisseurs » (p. 228), une « population qui croyait pouvoir venir s’installer sur les riches terres de Francie » (p. 231).

Les raisons de l’attaque de l’Aquitaine par les Arabes font débat chez les historiens4. Il semblerait qu’aujourd’hui, la thèse d’une simple razzia (défendue notamment par Françoise Micheau), ou alors d’une razzia préparant éventuellement une conquête (Pierre Guichard), tiennent la corde. Mais les sources ne permettent en aucun cas d’être catégorique. Lorànt Deutsch, lui, en est certain. Il est pourtant faux d’affirmer, comme il le fait, que l’armée d’Abd al-Rahman était suivie d’une population entière prête à coloniser les terres conquises. Lors de leurs incursions en Septimanie, les Arabes ont pris des villes (comme Narbonne), y ont installé un gouverneur et une garnison, mais très rarement une population arabe ou berbère. Ceci expliquant en partie d’ailleurs leur tolérance envers les populations locales, et notamment leurs cultes : il est plus facile d’installer son pouvoir en ayant la population de son côté. C’est d’ailleurs comme cela que les Arabes ont procédé en Al Andalus. L’intention de Deutsch est évidemment de faire croire à une colonisation massive et programmée.

LA BATAILLE DE POITIERS : UNE CROISADE ?

La liste des erreurs et approximations historiques du comédien serait encore longue. Mais la plus frappante reste l’idée selon laquelle une partie de l’Occident se serait unifié sous la bannière de Charles pour vaincre le « déferlement sarrasin ».

Le chef franc [Charles Martel] doit, lui aussi, mobiliser une puissante armée. Les soldats d’Austrasie, bien qu’expérimentés et disciplinés, ne suffiront pas à contenir les houles musulmanes. Alors, Charles se hâte de conclure des accords avec tous les bouillonnants peuples germaniques, les Alamans, les Saxons, les Thuringiens. Il réunit ces guerriers sous la bannière du Christ, et si certains d’entre eux sont païens, ça ne fait rien ! (p. 225-226. Texte en gras souligné par nos soins.)

Le terme n’est pas employé, mais difficile d’y voir autre chose qu’une allusion à la croisade, notamment quand Deutsch emploie « la bannière du Christ ». Une croisade bien œcuménique, puisqu’elle accepte les païens (en voie de christianisation quand même…). Or, l’idée de guerre sainte et de croisade en Occident date des Xe et XIe siècles. Elle est l’aboutissement d’un long processus spécifique au christianisme latin qui aboutira, notamment, à la création des ordres militaires (Templiers, Hospitaliers)5. Rien de tel au VIIIe siècle lors de la bataille de Poitiers où l’aspect politique de l’affrontement est au moins aussi important que la dimension religieuse.

« LA CHEVAUCHÉE SANGLANTE DES CHRÉTIENS VICTORIEUX »

Après avoir étudié quelques exemples des problèmes historiques que posent les choix de Deutsch, il est temps de s’attarder sur le vocabulaire qu’il choisit. En effet, l’emploi de certains mots et expressions laisse sans voix tant le comédien va loin dans l’image de la menace violente du musulman.

Nous avons déjà évoqué son usage systématique des termes « massacres », « pillages », ou de l’insistance sur la réduction en esclavage des populations conquises, et la destruction des lieux de culte (« les troupes de l’islam […] se contentent d’incendier la basilique Saint-Hilaire », p. 228). Mais les termes utilisés pour parler du nombre et des Arabes (ou Sarrasins, Berbères, musulmans…) laissent encore pantois ; ainsi, les « envahisseurs » forment une « masse immense » (p. 225), une « horde » (p. 225), un « déferlement sarrasin » (p. 225), des « houles musulmanes » qu’il s’agit de « contenir » (p 226) !

A l’inverse, Lorànt Deutsch insiste sur la piété des adversaires des musulmans, et sur l’importance des lieux sacrés menacés. Le duc Eudes est par exemple représenté comme une sorte de pacifiste (ayant tout de même un « intérêt particulier » à l’arrêt des combats), « [prônant] avec passion la grande fraternité universelle, l’amitié entre les enfants du Christ et ceux d’Allah […] », et il envoie une ambassade de paix. Mal lui en prend, l’ennemi est versatile : l’allié Munuza étant tué par le nouvel émir d’Al Andalus, « la stratégie pacifique du duc Eudes avait donc mené […] à l’impasse politique » (p. 225). La fille d’Eudes, quant à elle, est quasiment canonisée :

 À Toulouse, la jeune fille pleura beaucoup, mais se résigna finalement à accomplir ces deux actes pieux : obéir à son père et sauver son pays. Une dernière fois, elle alla prier à la basilique Saint-Sernin, et prit congé des bons paroissiens qui l’avaient accompagnée. (p. 224)

L’ombre divine n’est jamais très loin avec Lorànt Deutsch, et pas seulement derrière « la bannière du Christ ». L’émir andalou n’a pas pu entrer dans Poitiers ? « La chrétienté est sauvegardée » (p. 229). Dieu probablement aussi derrière la victoire de Poitiers, cette « chevauchée sanglante des chrétiens victorieux » (p. 231) contre l’armée musulmane et « cette population qui croyait pouvoir venir s’installer sur les riches terres de Francie » (p. 231)…

Une opposition religieuse que Lorànt Deutsch assume dans sa conclusion sur la bataille, une partie qui tranche véritablement avec Métronome.

LORÀNT DEUTSCH ET LE « CHOC DES CIVILISATIONS »

Si dans Métronome, Lorànt Deutsch restait relativement timide, ou flou, sur ses choix idéologiques et sur les raisons de raconter une telle histoire, la polémique de 2012/2013 a permis d’y voir un peu plus clair. Sa proximité avec Patrick Buisson (même si le comédien a essayé de faire croire qu’il ignorait qui était vraiment l’ancien journaliste d’extrême droite), son monarchisme militant, sa critique ouverte des programmes scolaires ont éclaté au grand jour.

Avec Hexagone, il va plus loin encore. Certaines expressions choisies interpellent sur de possibles parallèles contemporains.

… des milliers de familles musulmanes venues d’Afrique du Nord (p. 224)

… toute cette population qui croyait pouvoir venir s’installer sur les riches terres de Francie. (p. 231)

La bataille de Poitiers n’est pas n’importe quelle bataille. Elle est devenue très vite, et l’est encore plus aujourd’hui, un marqueur idéologique clair. Charles Martel est ainsi vu par les identitaires et l’extrême droite, jusqu’à Marine Le Pen, comme celui qui a arrêté l’invasion, un héros ayant sauvé la nation du péril musulman. Péril représenté aujourd’hui, selon ces extrémistes, par l’immigration, principalement celle venue d’Afrique du Nord. Le Bloc identitaire a ainsi salué la récente occupation de la mosquée de Poitiers par Génération identitaire comme « un acte de résistance hautement symbolique ».

Occupation de la mosquée de Poitiers par les militants de Génération identitaire, le 20 octobre 2012.
Occupation de la mosquée de Poitiers par les militants de Génération identitaire, le 20 octobre 2012.

Lorànt Deutsch ignore-t-il cela, comme il a prétendu ignorer qui était vraiment Patrick Buisson ? Est-il prêt à être soutenu, une nouvelle fois, par les identitaires, comme cela était arrivé en juillet 2012, à son corps défendant ? En adoptant cette approche et ce vocabulaire, on peut se poser la question…

Plus loin, il assume en revanche totalement un choix idéologique :

Je le sais bien, la bataille de Poitiers, le Croissant contre la Croix, l’union sacrée des chrétiens et des païens contre l’envahisseur musulman dérangent le politiquement correct. On voudrait une lutte moins frontale, davantage de rondeurs, un christianisme plus mesuré, un islam plus modéré… Alors pour nier ce choc des civilisations6, certains historiens ont limité la portée de la bataille remportée par Charles Martel. Mais non, disent-ils, on ne peut pas parler d’une invasion, ce fut à peine une incursion, une razzia destinée à dérober quelques bijoux et à enlever les plus girondes des Aquitaines. Charles Martel s’est énervé un peu vite, il aurait dû attendre quelques semaines et les Arabes seraient sagement rentrés chez eux, en Espagne. (p .232. Texte souligné par nos soins)

Caricaturant avec ironie et un grand mépris la position scientifique d’historiens dont il ne cite même pas le nom (y compris dans la bibliographie), il fait sienne la théorie du choc des civilisations, après avoir défendu celle – tout autant marquée idéologiquement – du « génocide » vendéen7.

On connaît aujourd’hui l’ambiance pesante qui règne en France, notamment une montée de l’islamophobie qu’il serait difficile de nier. On peut dès lors s’inquiéter qu’une célébrité comme Lorànt Deutsch semble reprendre à son compte une version pour le moins problématique de la bataille de Poitiers, en particulier la manière avec laquelle il la raconte.

Alors que Dimitri Casali nous a gratifiés de son Lavisse augmenté, que Franck Ferrand a enchaîné les contrevérités sur les programmes scolaires, que le prochain Jean Sévillia ne va pas tarder à être publié, la sortie de Hexagone, et les angles choisis par son auteur, montrent bien que l’offensive des historiens de garde n’a pas cessé, bien au contraire. Il est de la responsabilité des médias, et pas seulement d’eux, d’apporter un véritable regard critique sur ces usages publics de l’histoire.

Christophe Naudin

BIBLIO-VIDÉOGRAPHIE

  • Pour un article de synthèse facile d’accès, on regardera F. Micheau, « 732, Charles Martel, chefs des Francs, gagne sur les Arabes la bataille de Poitiers », dans A. Corbin (dir.) 1515 et les grandes dates de l’histoire de France, Seuil, 2005, p. 34-38.
  • Pour une synthèse de la critique de la théorie du choc des civilisations, on regardera avec intérêt cette émission du Dessous des cartes datée de 2002 :

  1. J. Deviosse, Charles Martel, éditions Tallandier, 1978 (réimpr. 2006).
  2. Cité par B. Foulon, E. Tixier du Mesnil, Al-Andalus. Anthologie, Flammarion, 2009, p. 42
  3. P. Sénac, Les Carolingiens et al-Andalus (VIIIe-IXe siècles), Maisonneuve & Larose, 2002, p. 16
  4. Le médiéviste Henri Pirenne, dans les années 30, pensais déjà que la bataille de Poitiers n’était qu’une razzia. « Cette bataille n’a pas l’importance qu’on lui attribue. Elle n’est pas comparable à la victoire remportée sur Attila. Elle marque la fin d’un raid, mais n’arrête rien en réalité. Si Charles avait été vaincu, il n’en serait résulté qu’un pillage plus considérable. » H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Alcan, 1937, p. 136
  5. Voir à ce sujet J. Fiori, La Guerre sainte La formation de l’idée de croisade dans l’Occident chrétien, Aubier, 2001
  6. Théorie développé par Samuel Huntington, très conservateur professeur de sciences politiques à Harvard, selon laquelle le monde serait divisée en blocs civilisationnels inconciliables, parmi lesquels on compterait l’Occident et l’Islam. Voir S. Huntington, Le Choc des Civilisations, Éditions Odile Jacob, 2007.
  7. Voir Les Historiens de garde, p. 75-78.

Basile de Koch, l’avant-garde des historiens de garde ?

En ce début d’année 2014, notre site se propose d’accueillir un article d’un jeune historien, Michel Deniau, qui nous propose de découvrir un travail annonçant celui des Historiens de garde : L’Histoire de France de Cro-Magnon à Jacques Chirac. Si une bonne partie du discours de Max Gallo, Dimitri Casali, Lorànt Deutsch et Franck Ferrand est en germe dans ce livre, il est intéressant de noter qu’au moment de sa sortie, en 2004, il n’a eu qu’une diffusion limitée et que son auteur devait masquer ses outrances sous le couvert de l’humour. Aujourd’hui, le roman national se pare de sérieux ; ce sont des figures plus médiatiques, et, parfois, plus crédibles, qui assurent sa promotion auprès d’un public beaucoup plus large. Il n’en reste pas moins, le livre de Basile de Koch permet d’entrevoir les fondements politiques du discours des historiens de garde1.

07/07/2009. Basile Le Kock.
Bruno Tellenne, alias Basile de Koch, en 2009

Rentrer chez ses parents pour Noël cela a parfois du bon, et ce pas que pour retrouver des visages familiers. À travers cet article, ce blog va, en effet, se nourrir d’une découverte faite dans la vieille commode de ma chambre d’adolescent. Il s’agit d’un ouvrage, Histoire de France de Cro-Magnon à Jacques Chirac, écrit par Basile de Koch et illustré par Luc Cornillon. Dans mes souvenirs, à l’époque, il y a un peu moins de dix ans (le livre datant de 2004), je m’étais amusé de la drôlerie du propos, surtout que j’avais entendu parler de Basile de Koch comme quelqu’un appartenant à l’univers de l’humour, ou tout du moins du non-sérieux, et avait pris un certain plaisir à la lecture, même si on ne peut pas dire qu’elle m’ait marquée. Dorénavant, échaudé par le combat critique contre Lorant Deutsch et les historiens de garde en général, ainsi que nourri de distanciation critique par plusieurs années d’études et de réflexion autour de l’histoire, j’ai pris l’occasion de cette redécouverte pour relire le livre de façon critique. Le moins que je puisse conclure de cette expérience est qu’elle ne m’a pas déçue ! D’un souvenir d’écrivain non-sérieux, je me vois désormais confronté à l’appréciation d’un fatras plutôt réactionnaire, le tout couvert sous le prisme de l’humour.

Je sais ce que beaucoup de gens vont dire « C’est un satyriste, quel mal peut-il y avoir à ce qu’il parle d’histoire de façon décalée et drôle ? ». Certes, tout le monde peut écrire de l’histoire, et j’encourage chacun à le faire à travers une méthodologie rigoureuse et sans à priori, et à fortiori sur l’histoire de France. En outre, je n’ai aucune objection personnelle contre la personne de Basile de Koch et donc contre le fait qu’il vienne s’intéresser à l’histoire, tant que le parti pris en est clair, œuvre de « vulgarisation » historique ferme sur le fond mais fantasque dans la forme, d’écriture par exemple, ou absolument fantasque dans les deux. Or, la quatrième de couverture explique que

Après le succès de ses parodies de presse […], Basile de Koch […] signe ici un vrai-faux « manuel d’histoire à l’usage des cours élémentaires » qui, compte tenu de la baisse générale du niveau, sera lu avec profit par les anciens de élèves de l’ENA.

En outre, dans son avant-propos (p. 3), Basile de Koch affirme tout à fait sérieusement que

Le lecteur de ce manuel, conçu à l’ancienne, mais revu à la lumière de l’historiographie moderne, trouvera en regard de chaque leçon une magnifique gravure tout en couleurs.

Un peu plus loin dans la même page, le lecteur est gratifié d’un vibrant appel :

Avec ce manuel, laissez donc les cadavres les plus prestigieux de notre Histoire s’asseoir à votre table, et ressusciter.

Outre le fait que l’on s’étrangle en le voyant convoquer « l’historiographie moderne » pour appuyer ses dires, ces deux citations permettent de mettre en avant que l’ouvrage se veut sérieux sur le fond tout autant que fantasque sur la forme. Enfin, la vocation sérieuse est également appuyée par un dernier extrait de l’avant-propos.

Le lecteur, précisément, quel est-il ? Disons-le tout net : pas un adolescent ou un collégien d’aujourd’hui. Entre techno, rap, web et mangas, nos jeunes ont su développer une culture profondément originale, novatrice, en phase avec l’époque et qui se suffit à elle-même. Non, le présent ouvrage s’adresse plutôt à nos élites – artistes, stylistes, journalistes, comiques, intellectuels – dont l’éminente position sociale n’a d’égale que leur bien excusable inculture générale.

Il y aurait donc les jeunes qui auraient tout compris et l’élite (nécessairement vieille ?) qui vivrait couper du monde et qui plus est de la vérité historique. Chacun appréciera à sa juste valeur l’anti-intellectualisme ainsi que le caractère « anti-élite » du discours. Ce cheval de bataille sera d’ailleurs repris au détour d’une phrase page 40 :

En outre, Marignan-1515 inaugure l’histoire chronologique, qui ne sera remise en cause que vers la fin du XXe siècle par des enseignants crypto-marxistes.

Basile de Koch Histoire de FrancePour résumer, son opuscule a quelques aspects trop sérieux pour être considéré uniquement comme de la drôlerie et parfois pas assez décalé et fantasque pour se voir décerner le titre de bande dessinée à base historique et donc être traitée à travers le prisme interprétatif de la fiction, ou tout du moins de l’œuvre non scientifique.

Le brouillard du « vrai-faux manuel d’histoire à l’usage des cours élémentaires » permet, sous une couverture humoristique et satyrique, de faire passer, comme nous le verrons, des pensées idéologiquement orientées ou historiographiquement connotées. Le but de cet article ne va pas être de décortiquer et remettre en perspective les anachronismes de l’auteur puisqu’ils sont légions, qu’ils sont plutôt facilement visibles pour le quidam et que, au final, ce ne sont pas ces phrases qui révèlent le plus la psyché profonde de l’auteur. De fait, l’ensemble de ces anachronismes et/ou erreurs factuelles tendent à donner du poids ou accréditer différents thèmes de prédilection de l’auteur que sont la critique du protestantisme, de la démocratie et de tout ce qui être plus ou moins relié à la gauche dans ses nombreuses composantes (socialisme, communisme etc…). On notera également avec intérêt les différentes petites saillies sur l’immigration, la colonisation française en Afrique ou le génocide vendéen.

Historiographiquement, les points les plus dérangeants tournent autour d’une image très astérixienne des Gaulois (p.6 « Cette stratification correspond parfaitement à la mentalité belliqueuse de ce peuple spontané, grand, blond (ou teint en roux), rieur, courageux mais cyclothymique. […] Les artisans gaulois, bien que grossiers et bon vivants, savent traiter tous les métaux et livrent des bijoux, casques, cuirasses, épées et même des charrues très réussis. ») ou la diffusion de l’image chimérique d’une France entièrement résistante au moment de la Libération (p. 108, dans un chapitre intitulé « 50 millions de résistants » : À l’été 1944, la France entière se soulève contre l’occupant nazi, qui ne doit son salut qu’à une prompte fuite »).

Toutefois, avant de nous intéresser au contenu le plus idéologiquement orienté et de faire le catalogue des extraits témoignant de la résurgence de l’inconscient politique de Basile de Koch dans ce livre, attardons nous un peu sur la composition de l’ouvrage ainsi que sur la personnalité et le positionnement politique de l’auteur, ces éléments pouvant être d’un précieux soutien pour comprendre certaines phrases ou formulations ambigües.

En ce qui concerne la forme, Histoire de France de Cro-Magnon à Jacques Chirac, sous titré « Cours élémentaire », se présente sous la forme d’une succession de doubles pages composées d’un court texte, écrit par Basile de Koch, en page gauche, sur un thème annoncé par un titre qui donne le ton. Pour l’exemple, on peut prendre le cas de la page 20 : « La société féodale : décentralisation et aménagement du territoire ». Sur la page de droite, la majeure partie de l’espace est occupé par l’illustration de Luc Cornillon. Chaque dessin se voit coiffé d’un titre dont on ne sait s’il est l’œuvre de Basile de Koch ou de Luc Cornillon. Il demeure malgré tout que certains titres interpellent, notamment « Dès août 44, les résistants parisiens s’adjoignent de précieux collaborateurs » (p. 109) ou « Une politique étrangère résolument tiers-mondiste » (p. 91), à propos de la colonisation française en Afrique. Les dessins se voient agrémentés d’une petite phrase d’accompagnement. Enfin, un petit résumé de la page gauche, dans un petit encadré rectangulaire dans la partie inférieure de la page droite, conclut l’agencement graphique de l’ensemble.

Tout cela n’est pas sans rappeler des choses à toutes les personnes qui se sont, un jour, intéresser à l’histoire de l’enseignement de l’histoire en France ou à tous les amateurs des manuels anciens. En effet, cet intitulé de « Cours élémentaire » se retrouve sur de nombreux ouvrages de la première moitié du XXe siècle. De même, et probablement plus indicatif, avec la composition graphique de l’ensemble. Le plus célèbre de ces manuels anciens est sans nul doute L’Histoire de France d’Ernest Lavisse (1913), mais on peut également voir de beaux spécimens dans le Bernard et Redon, Notre premier livre d’histoire (1950), le Ozouf et Leterrier, Belles histoires de France (1951) et le Bonne, Grandes Figures et Grands Faits de l’Histoire de France (1938). Par conséquent, rien que par son iconographie le livre de Basile de Koch véhicule une image volontairement passéiste et nostalgique d’un enseignement de l’histoire, à fortiori de l’histoire de France. Voilà ce qui tranche fortement avec sa référence à une « historiographie moderne »…

Comme d’habitude Internet va nous permettre de tracer quelques grands traits de la personnalité politique de Basile de Koch. De fait, si les sources de seconde main ; telle sa notice Wikipedia, les articles de blogs ou de presse ; sont les plus informatifs, ils sont également à interroger et à recouper. Pour cela on peut disposer de sources de première main telles que la page Facebook de Basile de Koch ainsi que son profil LinkedIn ou encore son compte Twitter pour confirmer certains éléments. De fait à travers Wikipedia on apprend que :

Il est le fils de Guy Tellenne (1909-1993, normalien, agrégé, poète, haut fonctionnaire au ministère de la Culture et sous-directeur de l’Institut français d’Athènes) et d’Henriette Annick Lemoine (animatrice à KTO sous son patronyme de mariage, Annick Tellenne et auteur de Le goût de vivre ; la recette du bonheur).

Il a trois frères, dont Karl Zéro et Éric Tellenne. Il est marié avec Frigide Barjot et a deux enfants.

Il suit des études au Lycée Saint-Louis de Gonzague à Paris avant une maîtrise de droit et DEA de Science Politique.

Ancien assistant parlementaire, il a tout d’abord travaillé pour l’UDF et notamment pour Raymond Barre, Simone Veil. Il participe également au Club de l’Horloge. Il fut ensuite le rédacteur des discours de Charles Pasqua au ministère de l’Intérieur, entre 1986 et 1988.

Il mettra à profit cette connaissance du « dessous des cartes » pour brosser divers portraits vitriolés des principaux acteurs de la politique française.

Basile De Koch se vante de n’avoir « jamais adhéré à un mouvement dont il ne fût pas le fondateur ». De fait, il est « président à vie auto-proclamé » du groupe Jalons avec sa femme Frigide Barjot.

Pour avoir bénéficié d’un emploi fictif au Conseil général de l’Essonne, il est condamné avec Xavière Tiberi par la Cour d’appel de Paris, le 15 janvier 2001, à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis.

Basile de Koch est chroniqueur à l’hebdomadaire Voici dans la rubrique La nuit, c’est tous les jours. Il tient également une chronique sur la télévision dans l’hebdomadaire Valeurs actuelles et collabore régulièrement au site Causeur.fr créé par Élisabeth Lévy.

À noter que, dans le « À propos » de sa page Facebook, le principal intéressé ne semble pas totalement démentir l’ensemble des informations de Wikipedia, même si l’extrait qu’il mentionne est parfois différent de notre citation – probablement du fait d’une modification ultérieure.

La lecture de la presse écrite, prolifique sur le personnage suite aux actions de sa femme – Frigide Barjot – lors du débat autour du mariage pour tous ou les siennes avec sa pétition des « 343 salauds », peut nous apprendre qu’il serait proche des milieux d’extrême-droite. Par exemple le Huffington Post affirme

Frère de l’animateur Karl Zero, mari et associé de Frigide Barjot ; tour à tour écrivain, humoriste, chroniqueur, figure des nuits parisiennes, ancien « nègre » de Charles Pasqua et dit proche de certains milieux d’extrême-droite; Basile de Koch, alias Bruno Tellenne, est aussi « président à vie » du Groupe d’Intervention Culturelle Jalons qu’il a créé dans les années 80, connu pour ses happenings et pastiches. Dandy à la fois anticonformiste et ultra-réac, Basile de Koch s’est fait une spécialité de dénoncer la bien-pensance de gauche pour mieux affirmer celle de droite.

En s’intéressant à la participation blogueuse au débat, il est possible d’apprendre, d’une source qui se déclare proche du groupe Barjot-de Koch – même si l’auteur s’est vu depuis assigné en justice par les intéressés – , que Basile de Koch est

chroniqueur clubbing à l’hebdomadaire Voici dans la rubrique La nuit, c’est tous les jours. Il tient une chronique sur la télévision dans l’hebdomadaire ultra-conservateur Valeurs actuelles et collabore régulièrement au site d’extrême-droite Causeur.fr, propriété de l’ancien d’Ordre Nouveau et ancien directeur du magazine d’extrême-droite Minute, Gérald Penciolelli.

Bruno Tellenne a été l’assistant parlementaire et la « plume » de Charles Pasqua. C’est sous son influence que Charles Pasqua se veut un ardent partisan de la peine de mort et préconise une alliance avec l’extrême-droite, déclarant que « le FN se réclame des mêmes préoccupations, des mêmes valeurs que la majorité ».

Basile de Koch a par la suite été un membre actif du très droitier Club de l’Horloge, créé en 1974 par Henry de Lesquen, président de Radio Courtoisie, connue pour avoir reçu le révisionniste Faurisson à plusieurs reprises.
En 1984, Basile de Koch est l’un des rédacteurs du rapport du Club de l’Horloge à l’origine de la théorisation de la « préférence nationale », idée-phare du Front National : on peut lire son nom en page 5 du rapport final des travaux de la commission qui définira le concept de préférence nationale(La préférence nationale : Réponse à l’immigration, 1985 dirigé par jean-Yves Le Gallou, longtemps cadre du Front National avant de devenir membre fondateur du MNR de Bruno Mégret).

Même si l’auteur se défend d’avoir appartenu ou d’appartenir au GUD (Groupe Union Défense) – mais assume avoir été « nègre » pour Charles Pasqua dans les années 1980, comme l’affirme sa page LinkedIn, il demeure qu’il semble se mouvoir aisément et avec plaisir dans la presse de droite dure ainsi que dans les groupes de réflexion que l’on peut qualifier d’extrême-droite, ou tout du moins dont plusieurs membres de ce dit groupe sont des affiliés de l’extrême-droite. De fait, la plume de Basile de Koch est lisible depuis plusieurs années sur le site Causeur.fr d’Elisabeth Lévy ou sur le site support du magazine Valeurs Actuelles. Pour ce qui est de son activité réflexive, en 1985 on le retrouve notamment comme participant, sous son nom civil de Bruno Tellenne, à la rédaction du rapport La préférence nationale : réponse à l’immigration, rapport présidé par Jean-Yves Le Gallou – membre éminent du Front National – , pour le think tank le Club de l’Horloge.

S’intéresser à ce groupe peut permettre de mieux rendre compte des fréquentations historiennes de Basile de Koch. Il est possible de prendre comme point de départ la notice Wikipedia. On peut noter, du côté historien, la présence remarquée (et remarquable, quoique pas surprenante) des personnages bien connus comme proches de l’extrême-droite comme Bernard Lugan, Jacques Heers, François-Georges Dreyfus ou Jean Sévillia. La véracité de l’information est confirmée par une recherche méticuleuse sur le site du groupe. Bernard Lugan (dont le parcours extrême-droitier est lisible dans une contribution personnelle sur le site du CVUH) y apparait, outre pour des conférences, comme l’écrivain en 1995 et 2000 du texte lors de la remise du prix Lyssenko. Jacques Heers (proche de l’extrême-droite et des milieux catholiques traditionalistes) est orateur, en 2001, pour une conférence intitulée « Islam et Chrétienté : la course et la guerre ». Enfin, la présence de François-Georges Dreyfus (contributeur à la Nouvelle Revue d’Histoire de Dominique Venner, orateur sur Radio courtoisie et proche des milieux catholiques traditionalistes) est confirmée par une très grande série de conférences, dont on trouve certains textes sur le site du Club de l’Horloge, , ici ou encore là. Enfin, Jean Sévillia (personnage déjà très bien connu comme historien de garde – et accessoirement gratte-papier au Figaro Magazine et au Figaro Histoire – ) y va également de sa petite conférence en 2001, cette dernière étant intitulée « Cinquante ans de manipulation des esprits ». De même son livre paru à l’époque, Le terrorisme intellectuel : De 1945 à nos jours, a été très apprécié.

À la vue de cet aéropage extrême-droitier, une interrogation légitime pourrait naître autour de l’idée d’une possible influence de ces personnages, ou d’autres historiens gravitant autour du Club de l’Horloge, sur les écrits de Basile de Koch. Cela pourrait être une partie de cette « historiographie moderne » citée plus haut. En l’absence de preuves, je ne saurais être affirmatif, mais cela est hypothétiquement possible. Il n’en demeure pas moins que, éclairé de ces différents éléments, il est nécessaire de voir Basile de Koch comme un personnage très proche de l’extrême-droite, aujourd’hui comme hier.

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Photo de la page 25. Photo réalisée par l’auteur

Après l’auteur du texte, il nous semble fondamental, par égalité de traitement, d’en venir à l’auteur des dessins. Les iconographies de Luc Cornillon sont, dans l’ensemble, clairement positionnés sur un angle humoristique. L’illustrateur joue avec les anachronismes (par exemple une pancarte où est inscrite « Élu Capet 54% » pour l’élection de Hugues Capet en 987 page 23) ou le décalage (notamment page 49 avec l’illustration des fameuses « deux mamelles » d’Henri IV par les seins d’une femme à la poitrine généreuse) pour mieux faire rire. Seuls les dessins des pages 25 (représentant un croisé, durant l’attaque de Jérusalem en 1099, en train de tuer un musulman grâce à son épée, arme sur laquelle est embrochée une saucisse et un autre morceau de viande [du porc ?]) et 67 (Robespierre étant mis en scène sur une affiche comme réalisateur d’un film d’horreur nommé « Massacre à la guillotine » aux côtés d’autres publicités de ce genre cinématographique comme « Freddy IV » ou « Vendredi 13 ») pourraient émouvoir certains esprits, même si je suppose ici plus une licence artistique et humoristique (que l’on apprécie ce genre d’humour ou pas) qu’une réelle volonté de faire transparaître un message politique, même si l’hypothèse n’est pas à écarter complètement à priori.

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Photo de la page 67. Photo réalisée par l’auteur.

En effet, il est tout à fait plausible que le dessinateur ne fasse qu’illustrer le propos de Basile de Koch et donc que l’image ne soit qu’un démultiplicateur de force du texte et non un discours en soi-même. Ou en tout cas ce n’est plus ici, pour certains dessins, un discours en soi-même. De fait, on notera avec intérêt la présence, sur certaines images, de la signature « Luc Cornillon 96 », les autres étant paraphées « L.C. » ou « Luc Cornillon ». Ce chiffre est-il une indication de date (1996) ou une autre référence qui nous reste obscure ? Dans le premier cas, cela pourrait renforcer l’idée d’un remploi des dessins hors de leur contexte d’origine. De même, les signatures différentes amènent à penser à des moments de création différents et donc des remplois hors contexte originel. En outre, une investigation de sa relation avec Basile de Koch et plus généralement de son oeuvre n’apprend pas grand chose. En effet, le dessinateur et le penseur semblent collaborer au sein des éditions Jalons – ces dernières étant présidées par Basile de Koch – , mais il est impossible de dire s’il s’agit de relations d’auteur à éditeur ou quelque chose de plus poussé. Un fanblog rend compte d’une part importante de la production de Luc Cornillon et elle se démarque par une certaine consensualité, ou tout du moins par un éloignement avec les thématiques défendues par Basile de Koch, les dessins de Luc Cornillon s’adressant, notamment, à des magazines jeunesse comme Okapi.

Tout cela pour conclure que, dans l’état actuel de ma réflexion et de ma connaissance du personnage Luc Cornillon, je ne saurais dire s’il est nécessaire de comprendre ses dessins comme des discours graphiques à vocation politique ou simplement une innocente licence artistique et des parti pris de dessin et d’humour qui peuvent laisser froid certaines personnes.

Après avoir fait un tour le plus complet possible du profil des contributeurs à ce livre, il est temps de s’intéresser au contenu proprement dit sous la plume de Basile de Koch. Certaines critiques ne font l’objet que d’une ou deux phrases dans l’ouvrage. Elles sont placées là, pour ainsi dire, en passant. Le premier thème que l’on peut traiter est celui de l’immigration. Comme on peut s’y attendre, surtout en ayant en tête sa participation au rapport de 1985, Basile de Koch ne va pas considérer que l’immigration est une richesse ou un aléa des mobilités humaines. Dès la page 8 il explique :

Mai 52 : César a pris Orléans, puis Bourges. Vercingétorix décrète la levée en masse contre l’envahisseur venu du sud (déjà !).

Puis dans sa double page (p. 90-91) consacrée aux « jolies colonies de la France » (sur laquelle je reviendrais) on reste bouche bée devant ceci :

Brazza, Lyautey, Foucauld et le brave caporal Banania écrivent une saga exotique et tricolore qui prépare l’inconscient français de l’immigration.

Il est également réel que Basile de Koch fait, dans certains cas, de la question raciale un moteur des événements. On peut déduire cela de deux citations. La première (p. 4) dit :

Un beau matin de – 800, la touche finale est apportée par les Celtes, Indo-européens de qualité supérieure, qui chassent les Ligures dans les montagnes avec leurs armes en fer.

Plus loin, page 13, à propos des « invasions barbares », notamment de l’épisode des Huns d’Attila, Basile de Koch résume la chose ainsi :

Au début du Ve siècle, la Gaule est confrontée à un phénomène d’immigration très sauvage : les « grandes invasions ». Aux tribus germaniques succèdent les Huns. Avec eux, le seuil de tolérance est dépassé : la race blanche va s’unir pour arrêter ces Mongoliens aux Champs catalauniques en 451. Le péril jaune est repoussé d’une bonne quinzaine de siècles.

Dans la première phrase, c’est, en partie, parce que les Celtes sont racialement supérieurs qu’ils dominent les Ligures. Dans la seconde, la différence raciale et la menace contre la « race blanche » expliqueraient le rapprochement entre le pouvoir romain et les peuples germaniques. In fine, il pourrait être facilement fait un rapprochement entre cette morgue contre le phénomène migratoire et des préjugés racistes. Toutefois, nous ne saurions franchir ce pas. Ou alors ce serait se moquer éperdument de ce que l’auteur écrit (p. 5) :

Les premiers Français arrivent vers – 1 000 000 d’Afrique noire, et plus tard d’Asie ou du Maghreb, ce qui démontre la bêtise du racisme.

Ou alors tout ceci n’est que supercherie, l’auteur prenant soin de cacher, au moins un peu, ses idées sur la question. Chacun se fera son propre jugement de cette question. Personnellement il m’est quand même permis de douter puisque Basile de Koch se plait à jouer sur les stéréotypes et clichés raciaux. J’en veux pour preuve un extrait de la page 90 :

En ce temps, l’immigration se fait dans le sens nord-sud et nos soldats, missionnaires et explorateurs matent avec brio les Arabes fiers et cruels, les Nègres naïfs et musculeux, et les Jaunes sournois mais tenaces.

Photo de la page 91. Photo réalisée par l'auteur.
Photo de la page 91. Photo réalisée par l’auteur.

De manière générale, à propos de la colonisation, Basile de Koch fait étalage d’une vision globalement positive. Outre un dessin qui en dit long, l’ouvrage recèle des phrases savoureuses. Par exemple :

La France civilisatrice est capable de massacre comme les Américains, mais elle sait aussi se montrer généreuse, apprenant aux indigènes l’hygiène, l’histoire de France et le « Notre Père ».

Ou encore

Dans ses colonies, la France met en valeur des territoires mal entretenus par des potentats cruels, arriérés et souvent fourbes. Partout, les moustaches françaises font reculer l’esclavage et la maladie.

On retrouve ici très clairement l’argumentaire colonialiste de la fin du XIXe siècle. Par ailleurs, une phrase ambiguë (p. 111) pourrait amener à penser que la principale raison de la fin de la colonisation française en Afrique est une certaine « mauvaise volonté » des populations locales :

Dans les années 50, l’Algérie compte une proportion importante de Maghrébins qui, dans leur grande majorité, refusent de s’intégrer à l’Algérie française et développent même un sentiment de rejet vis-à-vis des immigrés français et européens, pourtant chaleureux et travailleurs.

En ce qui concerne la démocratie, l’auteur a un rapport relativement ambivalent. En effet, si, p.26, Louis IX est un roi avisé car :

Il reçoit chez lui les SDF médiévaux, invente le procès en plein air et y défend souvent les pauvres, en évitant cependant l’écueil de la démagogie démocratique

que , p. 28, Philippe le Bel est loué car il :

sera aussi – mais sans penser à mal – pionnier de la démocratie avec l’institution des États généraux

ce qui semble plutôt une bonne chose sous la plume de l’auteur, les pages suivantes mettent en lumière que pour Basile de Koch la démocratie est nécessairement synonyme de démagogie ou d’égalitarisme, à lire comme quelque chose d’infamant. De fait, le pouvoir du peuple est vu comme une « chienlit » (p. 52-53) ou une « incorrection » (p. 52) envers le roi, dans cette page Louis XIV à propos de la Fronde. À l’époque des Lumières, l’Encyclopédie de Diderot est vue (p. 60) comme :

manifeste de l’idéologie optimiste et rationaliste qui donnera au monde la démocratie libérale, le communisme et Bernard-Henri Lévy.

Du fait de la critique féroce de Basile de Koch sur la pensée politique « de gauche », voir infra, le placement de la démocratie sur le même plan que le communisme ne saurait être vu que comme une injure. En avançant encore un peu dans le livre, pour ce qui est de la Révolution française et de Louis XVI il est donné à lire d’autres lignes saisissantes comme celles-ci (p. 62) :

Très vite, la machine s’emballe et le roi (qui a encore de bons sondages à l’époque) est impuissant à enrayer les flots de démagogie égalitaire d’une assemblée prête aux promesses les plus insensées.

Et celles-là (p. 63) :

Confronté au développement de la crise économique, de la bourgeoisie et de l’idée démocratique, il ne pourra résoudre aucun de ces maux.

En outre, pour Basile de Koch la démocratie est un mode de gouvernement qu’il est nécessairement d’utiliser avec parcimonie. Pour preuve cette phrase (p. 76) :

Pour le reste Louis XVIII gère la situation en père tranquille, avec sa Charte un peu démocratique mais pas trop

Enfin, pour l’époque de Louis-Philippe (p. 78), on notera avec intérêt la saillie :

Le droit de vote est même donné à 170.000 Français (contre 90.000 sous Charles X), ce qui frise la démagogie populiste

Puisque comme on l’a vu dans l’esprit de Basile de Koch la démocratie libérale est accolée au communisme, voilà une transition toute trouvée pour s’intéresser à la vision de la « gauche » dans le manuel kochien. Autant le dire tout de suite, concernant l’univers politique de ce qu’on appelle traditionnellement « la gauche » et ses acteurs ou représentants, Basile de Koch ne mâche pas ses mots et parle « cru et dru ». Les citations sont nombreuses, notamment à partir de l’époque moderne. Pour ne pas être accusé de faire des coupes sombres et de choisir des citations percutantes ou ambiguës, je serais exhaustif, quitte à être un peu rébarbatif. La charge commence page 60 avec plusieurs tirs de haute volée, notamment :

Diderot qui, avec son équipe de chercheurs socialistes », rédige de 1751 à 1772 l’Encyclopédie manifeste de l’idéologie optimiste et rationaliste qui donnera au monde la démocratie libérale, le communisme et Bernard-Henri Lévy.

Voltaire est surtout le premier intellectuel de gauche, dans la mesure où il est très à l’aise dans la haute société qu’il dénonce. Esprit universel, il est aussi l’ancêtre du fascisme avec ses considérations sur les juifs et les Noirs.

À la page suivante l’époque est mise en avant comme le :

triomphe des intellectuels de gauche ; parasites talentueux de la société d’Ancien Régime

Après une éclipse de plusieurs décennies, la critique féroce du socialisme est de retour avec (p. 78) :

À part ça, deux épidémies font rage : le choléra en 1832, et le socialisme pendant tout le règne.

À la page suivante on peut noter une certaine hostilité par une association de phénomènes à travers cette phrase :

Le capitalisme s’est développé, avec ses trains, ses pauvres exploités et ses socialistes.

L’époque du Second Empire est également le prétexte à une critique acerbe et ce à travers les aménagements parisiens du baron Haussmann. De fait l’œuvre de ce dernier est louée (p. 82) car elle :

aère Paris en rasant des quartiers entiers de taudis sordides et socialistes […].

Enfin, l’auteur ne peut s’empêcher, autour de la guerre d’Algérie, d’imputer une nouvelle fois une faute à la gauche – cette fois-ci non française – dans le déclenchement du conflit (p. 110) :

Le 1er novembre 1954, une poignée d’Arabes socialistes – on dit à l’époque des « salopards » – déclenche la guerre d’Algérie.

In fine l’ambition première de Basile de Koch est de démontrer qu’être « de gauche » c’est aussi méprisable et répréhensible idéologiquement et moralement (dans le cadre du « politiquement correct ») qu’être « de droite ». L’élément le plus représentatif de cette idée est un nouvel extrait de la page 90 :

À ce propos, on notera que la droite nationaliste est anticolonialiste ; le colonialisme est alors l’idée et l’oeuvre de la gauche au pouvoir. Un des théoriciens de cet impérialisme progressiste, Jules Ferry parle d’ailleurs du « devoir d’assistance des races supérieures aux races inférieures ». La gauche de l’époque est raciste, ce qui peut favoriser l’union nationale avec la droite.

Si on part du principe que pour Basile de Koch la Révolution, et notamment la période de la Terreur, est un événement nécessairement à relier à la partie gauche de l’échiquier politique, actuel ou d’époque, alors on peut tirer argument d’un nouvel extrait. En effet, à la page 66 l’auteur écrit :

1793 est pour les Français une « annus horribilis » : guerre à toutes les frontières, guerre civile contre la Vendée rebelle. Là encore, la Révolution innove en menant une politique volontariste de génocide idéologique.

Avant de conclure cet article, il me paraît nécessaire de rendre compte de deux autres tendances idéologiquement lourdes de Basile de Koch : sa rancoeur contre les autres religions monothéistes que le catholicisme ainsi qu’une dépréciation assez marquée pour l’homosexualité. Si la religion du Prophète est assez peu touchée (la seule mention concerne la bataille de 732 durant laquelle Charles Martel « sauve momentanément le pays du péril islamiste », p. 17), le protestantisme est pris à partie plusieurs fois. Par exemple page 49 Basile de Koch y fait deux fois référence. Tout d’abord en commentaire du dessin de Luc Cornillon (« Le roi, naturellement bon, fut rendu encore meilleur par son ministre l’excellent (quoique protestant) Sully. ») puis dans le résumé du chapitre (« Malgré le double handicap de la naissance protestante et de l’accent rocailleux, Henry de Navarre réussit à gagner le coeur des Français […]. »).

Pour ce qui est de l’homosexualité, il semblerait que cela constitue quelque chose à nécessairement éviter. De fait la première occurrence de cette thématique apparaît dans le chapitre consacré à Louis IX (p. 26-27). On y lit :

Durablement marqué par cette mère exemplaire [Blanche de Castille nda], Louis ne sombrera pas pour autant dans l’inversion et la sodomie, sévèrement condamnées par cette Eglise dont il se veut le premier serviteur.

Après une éclipse de plusieurs pages, l’homosexualité revient, sans trop de surprise, dans le débat autour d’Henri III. Page 46 Basile de Koch affirme :

À part ça, Henri III est très raffiné et sensible. A-t-il eu pour autant des penchants homosexuels ? Il semble bien que cette imputation infamante ait été propagée par les Guise, ses grands ennemis ultra-cathos, sur la seule base d’un entourage masculin, élégant et sophistiqué.

De façon plus surprenante Basile de Koch gratifie son lecteur de deux autres citations et ce à propos de Louis XIII et au cours de l’époque de Louis XIV. De fait, page 50 on trouve la phrase suivante :

Malheureusement, il [Louis XIII nda] restera marqué par ces épreuves et à moitié homosexuel.

Enfin, page 56 il ressort d’une saillie que l’homosexualité est quasiment un « troisième sexe », différent du sexe masculin ou féminin. En effet, selon l’auteur

Grâce au prodigieux binôme Molière-Lully se développe une industrie du spectacle baroque – avec le roi comme danseur étoile – qui, trois cent ans plus tard, continue de toucher hommes, femmes et homosexuels.

Pour conclure, son identification comme un nouvel avatar des « historiens de garde » peut se faire grâce à l’épilogue de l’ouvrage. Pour être juste citons tout d’abord Basile de Koch : « … Et nous voici arrivés au terme – provisoire – de notre histoire, la plus belle des histoires : l’Histoire de France. […] De Vercingétorix à Jacques Chirac, regardons-les défiler, les personnages de notre saga plurimillénaire. Regardons-les remonter ensemble la plus belle des avenues, ces Champs-Elysées dont les anciens Grecs faisaient déjà un paradis2. Mais la France n’est-elle pas tout entière un paradis, grâce bien sûr aux institutions de la Ve République, mais aussi au sacrifice des héros et martyrs dont nous venons de lire l’histoire, notre Histoire ! ». Tout ceux qui ont suivi la polémique autour des écrits de Lorant Deutsch ont en mémoire cette phrase de l’acteur-écrivain prononcée lors d’une interview sur Europe 1 :

« L’Histoire de France est la plus belle des histoires »

qu’il répète à l’envie lors de son passage au talk-show On n’est pas couché en octobre dernier :

Ce livre [Hexagone nda], c’est un voyage sur cette histoire. C’est la plus belle des histoires, c’est la nôtre, qu’on soit ici depuis toujours ou depuis deux secondes !

De même on s’étonnera, seulement à moitié, du partage de point de vue sur un événement bien particulier : la bataille de Poitiers en 732. Voilà comment Lorant Deutsch interprète cet événement dans Hexagone (p. 232) :

Je le sais bien, la bataille de Poitiers, le Croissant contre la Croix, l’union sacrée des chrétiens et des païens contre l’envahisseur musulman dérangent le politiquement correct. On voudrait une lutte moins frontale, davantage de rondeurs, un christianisme plus mesuré, un islam plus modéré… Alors pour nier ce choc des civilisations, certains historiens ont limité la portée de la bataille remportée par Charles Martel. Mais non, disent-ils, on ne peut pas parler d’une invasion, ce fut à peine une incursion, une razzia destinée à dérober quelques bijoux et à enlever les plus girondes des Aquitaines.

La citation de Basile de Koch (p. 16) est infiniment plus courte, mais tout aussi sans appel et percutante :

Le maire le plus fameux demeure Charles Martel qui, en 732, repousse à Poitiers des envahisseurs arabes (rayé et remplacé par « guerriers venus du Sud). Le choc des cultures est déjà violent !

Dans les deux textes une référence implicite au « choc des civilisations » cher à Samuel Huntington.

In fine en forçant un peu le trait il serait possible de rapprocher les deux membres de la « société du spectacle ». Toutefois, je ne pense pas qu’il faille placer Basile de Koch comme « maître à penser » ou « inspiration » de l’auteur de Métronome et Hexagone (même si le penseur apprécie le travail du comédien, se connaissent-t-ils personnellement ?) puisque l’idée de l’histoire de France comme la plus belle des histoires fait largement florès dans le milieu de l’histoire réactionnaire, comme par exemple – dans une autre formulation – chez Franck Ferrand ou Stéphane Bern. Basile de Koch serait-il l’avant-garde des historiens de garde ? La date de parution de l’ouvrage, 2004, tend à accréditer l’hypothèse, mais, là aussi, c’est une question à laquelle je me garderais de répondre autrement que par un laconique « c’est possible/c’est plausible ». Il n’en demeure pas moins que la date de l’ouvrage pose la question du point de départ du phénomène des historiens de garde. Quand et comment les théories historiques de la droite et l’extrême-droite ont su se frayer un chemin en se montrant sous les atours du décalé, du « fun » ? Malgré les très nombreuses qualités qu’il recèle, l’ouvrage de William Blanc, Christophe Naudin et Aurore Chéry ne répond pas, je crois, à cette interrogation. Cela me semble une thématique intéressante à explorer et surtout un travail nécessaire. En effet, à mon avis cela va de paire avec l’objectif de popularisation d’une histoire scientifique de qualité. L’idée est de décortiquer les réseaux d’influence qui permettent la diffusion de ce phénomène, de comprendre les raisons d’un tel succès et in fine de savoir adapter l’offre historique « grand public » à la nouvelle demande, le tout sans y perdre son âme. « Vaste programme », comme aurait dit le général de Gaulle.

Michel Deniau

  1. Les passages en gras sont de notre fait.
  2. On remarque là un clin d’oeil au film de Sacha Guitry, Remontons les Champs-Élysées (1938), premier grand film historique de Guitry, premier essai de ce réalisateur de transposer une histoire de France mythifié à l’écran. Pour plus de détails sur les liens entre Sacha Guitry et le roman national, voir Les Historiens de garde, chapitre V et cet article sur le blog Fovéa d’Adrien Genoudet : Sacha Guitry ou l’histoire aveugle, ndlr.

Max Gallo, l’homme de l’âme. Partie 2. Le roman national comme religion révélée.

Après un premier article publié en novembre dernier, nous continuons l’analyse des travaux de Max Gallo1. L’académicien, qui affirme vouloir « ranimer le roman national français »2, propose surtout de célébrer les racines chrétiennes de la nation, de voir l’histoire de France comme une réalisation providentielle et la nationalité comme un acte de foi.

UN ROMAN NATIONAL RELIGIEUX ET PROVIDENTIEL

Jean Alaux, "Le Baptême de Clovis", 1825.
Jean Alaux, « Le Baptême de Clovis », 1825.

C’est sans doute par son lexique religieux que se distingue le roman national de Max Gallo, qu’il théorise dans L’Âme de la France (2007). Nous verrons d’ailleurs que les deux sont liés. Insérer dans le titre de son livre le terme « âme » (alors que d’autres auraient parlé « d’identité » ou de « racines ») et prétendre que la France en aurait une n’est pas anodin. Pas plus que ne l’est cette citation de l’ouvrage où nous avons mis en gras les termes relevant du champ lexical religieux, et spécifiquement du vocabulaire catholique.

Tel Napoléon Bonaparte, celui-ci sera l’incarnation de la nation, il lui procurera grandeur et gloire, confirmera qu’elle occupe avec lui une place singulière dans l’histoire des nations.
Il sera aussi un homme du sacrifice, gravissant le Golgotha, aimé, célébré, entrant au Panthéon de la nation après avoir été trahi par les judas qui l’auront vendu pour quelques deniers.
La légende napoléonienne sous-tend à son tour et renforce cette lecture « christique » de l’histoire nationale.
La France se veut une nation singulière, et il lui faut des héros qui expriment l’exception qu’elle représente.
Elle les attend, les sacre, s’en détourne, puis elle prie en célébrant leur culte.
« Fille aînée de l’Église », cette nation a gardé le souvenir des baptêmes et des sacres royaux, des rois thaumaturges.
La révolution laïque n’a changé que les apparences de cette posture3

Cette longue citation mérite une analyse complète. De prime abord, Max Gallo insiste sur un fait essentiel. Le fil conducteur de l’histoire de France semble être la « posture » religieuse qu’adoptent les différents régimes successifs, que ce soit les rois ou les révolutionnaires. Mais, en plus de permettre l’affirmation d’une continuité pluri-millénaire de la France, l’emploi de métaphores religieuses remplit, dans la rhétorique historique de Max Gallo d’autres fonctions.

L’HISTOIRE, UN ACTE DE FOI

Il s’agit tout d’abord de voir la construction du fait national non comme un long processus, mais comme un acte de foi constamment renouvelé au fil des siècles. Un positionnement qui se retrouve souvent chez d’autres historiens de garde comme Christophe Barbier (qui avait déjà ouvert largement les colonnes de L’Express à Dimitri Casali4) qui explique ainsi, dans un éditorial récent d’un numéro spécial consacré à l’histoire de France, que cette dernière (identifiée, comme chez Michelet et Gallo, à une personne), « ignore les origines des citoyens pour les faire siens s’ils adhèrent à la charte mystérieuse de la communauté nationale ». Outre l’emploi du mot « charte » (qui n’a rien d’anodin. Il fait sans doute une référence à la Restauration de 18145), on remarquera surtout l’emploie par Christophe Barbier du mot « mystère » (évoquant le mystère de la Trinité), qui évacue d’emblée toute explication rationnelle. Devenir français n’est pas un statut légal, mais un acte de foi, une adhésion à des valeurs et à des caractéristiques que l’éditorialiste se garde bien de décrire ou de définir.

Max Gallo va plus loin. Pour lui, l’adhésion se transforme en acte d’amour, presque en union charnelle, qui se serait répété au fil des millénaires, unifiant une terre (toujours la même) avec ses habitants successifs.

Elle [la France] suscite chez les peuples venus des immenses forêts […] le désir de s’enraciner en elle. […] On la façonne, on l’aime. Elle cesse de n’être qu’un territoire. » 6

Cet accouplement est nécessaire, selon lui, à l’existence même de la nation : « La France n’existe que par l’amour qu’on lui porte. »7. Cesser de croire en elle, cesser de voir dans son histoire une grande épopée et d’en raconter – comme le fait Max Gallo – le roman national, et ce sera le chaos et la « crise nationale » menant à la « déconstruction des institutions ». Une absence de foi caractéristique, évidemment, des adeptes de la « repentance ».

Ceux qui ne croient plus en l’avenir de la France ou qui refusent de s’y inscrire déconstruisent son histoire, n’en retiennent que les lâchetés, la face sombre. »8

Si le roman national relève de l’acte de foi, l’histoire critique serait donc, a contrario, un acte de haine et de destruction. C’est du moins ce qu’a récemment affirmé un autre académicien, Pierre Nora (qui fréquente également Max Gallo dans l’association Liberté pour l’Histoire9), qui voit dans la remise en cause de l’histoire nationale le fait d’ « historiens jeunes, et parfois moins jeunes » motivés « par un ressentiment à l’égard de la France. »10.

RÉHABILITER LE CATHOLICISME

Si la lente construction historique de la France et son ciment actuel sont des actes de foi, Max Gallo précise qu’il ne peut s’agit de n’importe laquelle. « La foi catholique est l’âme de la France » affirme ainsi en 2011 ce récent converti2.
On nous objectera que Max Gallo ne cesse de se réclamer de la laïcité. Certes, mais encore faut-il voir de quelle laïcité il est question. En effet, il lie cette notion (qui est une création récente) au baptême de Clovis.

La laïcité : elle naît avec le baptême de Clovis. Le roi est chrétien mais, quand vous lisez les lettres de Rémy, l’évêque de Reims, celui-ci dit à Clovis : tu as le glaive, moi, j’ai un autre pouvoir. Dès l’origine, il y a séparation entre le politique et le religieux12.

Max Gallo réussit, en trois lignes, un véritable tour de force en faisant découler la laïcité de l’Église catholique et du travail des rois de France. La séparation de l’Église et de l’État n’est donc plus le fruit d’une lutte qui fit rage tout au long du XIXe siècle, combat dans lequel Clovis servait de figure de ralliement à ceux qui s’opposaient à la sécularisation de la République13.
L’académicien joue en fait sur une confusion forte. Que ce soit au Ve siècle ou au XVe, la question n’était pas celle de la séparation, mais celle de la prééminence. Rois, évêques, cardinaux, papes, tous se sentaient membres d’un ensemble chrétien. Restait à savoir qui devait prendre la tête de cet ensemble. Les monarques, ou les prélats.

Voilà une réflexion sur laquelle Max Gallo n’a pas le temps de s’attarder. Car la catastrophe menace ! Tout comme la France en butte à une « crise identitaire », la foi catholique hexagonale est menacée (les deux événements semblent d’ailleurs liés pour l’académicien). Dans son Dictionnaire amoureux, il consacre ainsi tout un article à ce qu’il appelle la « déchristianisation ». Ce terme fait référence aux campagnes de déchristianisation de la Révolution française, sous la Convention, période honnie par les historiens de garde et par Gallo lui-même14 Ce n’est donc pas un hasard si, pour illustrer cet article, l’artiste Alain Bouldouyre a choisi de représenter des prêtres envoyés à la guillotine. L’idée est, évidemment, d’associer la déchristianisation à une image sanglante et catastrophique.

Image illustrant l'article "déchristianisation" du "Dictionnaire amoureux de l'Histoire de France" (2011), p. 103. La sécularisation de la société française est associée à un processus sanglant.
Image illustrant l’article « déchristianisation » du « Dictionnaire amoureux de l’Histoire de France » (2011), p. 103. La sécularisation de la société française est associée à un processus sanglant.

Mais le terme de déchristianisation induit surtout que seul le christianisme (et plus particulièrement le catholicisme), en France, serait en perte de vitesse. Cette impression est confirmée si on lit de près l’article, notamment cette citation :

Quel changement, quelle révolution silencieuse, au moment où l’islam réclame la place qui lui est due dans le concert des cultes puisqu’il est désormais la deuxième religion de France.
Les jeux sont-ils faits ? Le catholicisme, longtemps horizon de la civilisation française, vit-il ici, sur la terre de Saint Louis et de sainte Jeanne d’Arc, son crépuscule ? La France, objet d’amour parce qu’elle était la fille aînée de l’Église, ne va-t-elle pas se fragmenter en communautés ? Et de la France de la diversité, tant vantée, ne glissera-t-on pas à une France divisée ? Où l’on n’aimera plus que son morceau de terre ? Devra-t-on dire adieu à « une certaine idée de la France » ?15

La phrase centrale (soulignée pas nos soins), appelle des commentaires. En effet, Max Gallo justifie la nécessité du ciment de la foi catholique par un argument historique bien connu. Le christianisme serait un élément important, essentiel, à la construction de la France, source d’amour à la fois pour Dieu et pour le pays. C’est tout l’objet de la première partie de l’article « Déchristianisation », où l’académicien égrène une longue litanie d’images sans cesse répétée (Clovis, les cathédrales, les pèlerinages). Cette union naturelle entre un pays et une foi, donc un Dieu, garant de son exceptionnalité, a été rompue. L’académicien en cherche les causes. Figurent en tête de la liste des accusés la Révolution, bien sûr, mais surtout des bouleversements plus récents. Quels sont-ils ? La repentance, dont nous avons déjà parlé dans le précédent article, mais également l’islam. Preuve en est que, pour l’académicien :

On craint l’action des minorités musulmanes radicales. Or, l’islam est devenu la deuxième religion de France. Les fidèles, pour l’heure, acceptent les lois laïques. Mais la minorité intégriste les remettra-t-elle en cause, entraînant la majorité des fidèles ?16

"Mon travail, c'est de ranimer le roman national français." M. Gallo, 14 juillet 2011.
« La foi catholique est l’âme de la France. » M. Gallo, 14 juillet 2011.

Aussi, si l’influence et la présence du catholicisme sont vues, par Max Gallo, comme historiquement positives, celles des musulmans (les seules, au passage, a être assimilés à l’intégrisme) sont perçues comme un problème et un danger pour l’avenir. La création du Conseil français du culte musulman est ainsi la « preuve de l’émiettement désirée de l’identité française. »17. « Désirée », car selon l’académicien, il y aurait comme une volonté délibérée de détruire l’identité nationale, une volonté toujours là, comme un diable conjuré contre la nation, tapie, dans l’ombre, prêt à frapper. Ce point de vue, Max Gallo l’exprime clairement dans un livre d’entretiens récent. Dressant les dix caractéristiques qui fondent l’identité de la France, il explique que la dernière serait :

La permanence des forces de désagrégation qui menacent l’unité fragile de ce pays. Nous sommes toujours menacés d’éclatement et aujourd’hui peut-être plus que jamais du fait de la progression du communautarisme18.

Cette menace constante justifierait, évidemment, la nécessité permanente d’en appeler à un sauveur, instrument de la résurrection nationale.

LA FRANCE, OUTIL DE LA PROVIDENCE

Les références constantes à un lexique ou à la métaphore religieuse sont aussi un moyen d’exprimer une exceptionnalité de la France. Comme l’a affirmé Max Gallo lui-même, le martyre de plusieurs de ses grands hommes permet au roman national de prendre des allures bibliques. Le sacrifice est comparable à celui du Christ et se veut avoir une portée mondiale, comme c’est le cas avec Vercingétorix :

Mais le sang répandu, les violences subies, les martyres endurés, ne sont jamais oubliés. Ils irriguent la longue mémoire d’un lieu, d’un territoire. […] Et l’âme s’y abreuve, découvrant ces dix mois de résistance, ce chef gaulois, Vercingétorix, qui devient un héros emblématique.
L’âme prend aussi conscience que c’est en Gaule que s’est joué le sort de l’Occident – l’histoire mondiale d’alors.19

Comme le montre la dernière phrase, le destin de la France est d’autant plus exceptionnel qu’en dehors de l’Occident (qui résume à lui seul l’histoire du monde), il n’y a pas d’histoire. Des propos européano centrés qui annoncent en partie le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy 20
Mais c’est surtout lorsqu’il raconte la mort de de Louis IX (saint Louis) à Tunis en 1270, en pleine croisade, que Max Gallo est le plus explicite quant à la destinée manifeste de la France :

Le roi de France n’est pas seulement saint, mais martyr.
Comment certains n’imagineraient-ils pas, après un tel apogée, que la France est promise à un destin exceptionnel, quelle est une nation sainte ?
« J’ai d’instinct l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires » écrira de Gaulle21.

Providence, le mot est lâché. Car la France doit à des forces qui dépassent l’entendement d’être née sous une bonne étoile. D’emblée, sa terre elle-même est décrite comme supérieure aux autres :

Ses paysages sont divers, ses fleuves paisibles, sa terre fertile, le climat moins brutal qu’ailleurs.6

Mais c’est surtout par son exceptionnelle résilience que la France développe au long de son histoire. On le sait, la défaite, dans les diverses versions du roman national, à toujours été fondatrice, car elle permettait de montrer la capacité de la France à renaître23. Cette résurrection ne peut à chaque fois se faire qu’à travers un homme providentiel qui incarne le pays et dont Max Gallo aime faire le panégyrique ou la promotion. La citation de De Gaulle, tirée des Mémoires de guerre, parle évidemment de la Débâcle pour mieux faire ressortir le besoin d’un grand homme incarnant la France. Dans le contexte de la rédaction de L’Âme de la France (la campagne de l’élection présidentielle de 2007), cette vision, combinant catastrophisme et appel à un sauveur, n’a évidemment rien d’innocent. Elle a pour but d’annoncer que le choix de l’académicien se portera vers Nicolas Sarkozy, présenté comme le seul homme capable de faire face à la crise, notamment la crise d’identité qui menace son âme24.
Lorsque la Providence ne peut compter sur le grand homme, c’est parfois la terre elle-même qui, par son seul pouvoir, réussit à assurer le destin national.

Restent les Francs qui […] sont pris par cette terre qui les conquiert autant qu’ils croient la posséder25.

Nous nous unissons aux Romains. Dès lors, nous sommes vainqueurs, puisque nous ne sommes plus seulement gaulois, mais gallo-romains !26

LES RACINES DE MAX GALLO

L’idée d’une exceptionnalité providentielle de la France, destinée à éclairer le monde (que l’on retrouve chez Jean-François Kahn, pour qui les Gaulois seraient les inventeurs des droits de l’homme), n’est pas une invention de Max Gallo, loin s’en faut. Elle est pourtant datée.

Il faut d’abord distinguer les rois de France de la France. C’est en effet à partir du XIIIe siècle, et notamment sous le règne de Philippe le Bel, que les monarques capétiens se sont présentés comme des rois très chrétiens, n’hésitant pas à pontificaliser la fonction monarchique, au point de contester au pape certaines de ses prérogatives sur le territoire du royaume 27. Par contre, l’expression « France, fille aînée de l’église » date quant à elle du XIXe siècle et se déploie dans un tout autre cadre. Il s’agit, pour une partie de l’épiscopat, de contrer l’idéologie révolutionnaire et de réaffirmer la place de l’Église dans une société qui se sécularisait peu à peu. L’un des promoteurs les plus infatigables de cette expression, le cardinal Langénieux (1824-1905. Il fut également archevêque de Reims, ville du sacre), ira jusqu’à affirmer au moment de la célébration du XIVe centenaire du baptême de Clovis que :

Quand Dieu voulut, après l’ère si douloureusement féconde des persécutions, donner à son Église une constitution sociale plus stable et l’émanciper de la tutelle gênante et précaire de l’Empire romain, il créa la France pour qu’elle fût dans le monde l’instrument de sa Providence28

L’idée de cette exceptionnalité providentielle de la France sera sécularisée par une partie des républicains, tel Michelet, qui écrivait :

De la déduction du passé, découlera pour vous l’avenir, la mission de la France ; elle vous apparaîtra en pleine lumière, vous croirez, et vous aimerez à croire ; la foi n’est rien autre chose29.

Michelet n’est pas un cas isolé. Depuis l’article de Maurice Crubelier « De l’histoire sainte à l’histoire de France », on commence à entrevoir aussi ce que l’enseignement de l’histoire laïque, qui s’est peu à peu imposé durant la seconde moitié du XIXe siècle, doit à l’enseignement religieux et plus particulièrement à l’histoire sainte enseignée dans les écoles , notamment en ce qui concerne la méthodologie30, 114, 2007.]. La France providentielle deviendra celle des droits de l’homme qu’il fallait répandre sur le monde et dans les colonies pour les « civiliser », quitte à en dévoyer les principes. Comme l’a écrit M. Crubelier : « le progrès a remplacé l’action providentielle. Le Progrès est le nouveau dogme ; la France en a été le champion. D’un peuple saint, on est passé à un autre peuple saint. »31

CONCLUSION : MAX GALLO, LE PREMIER DES « HISTORIENS DE GARDE »

En écrivant le livre Les Historiens de garde, il nous avait semblé que Max Gallo n’appliquait pas les mêmes méthodes médiatiques et publicitaires qui sont à l’origine du succès d’auteurs comme Stéphane Bern ou Lorànt Deutsch. De plus, l’académicien, de prime abord, ne produisait que des romans historiques, et pas des livres ayant vocation à représenter le passé de manière « authentique » pour reprendre un propos de Lorànt Deutsch. Aussi l’avions-nous exclu de notre analyse. Ce fut une erreur. Non seulement Max Gallo bénéficie d’une couverture médiatique importante, mais toute son œuvre procède de la même ambiguïté fondatrice que celle qui préside aux travaux des historiens de garde : la confusion, volontairement entretenue, entre Histoire et fiction. Une pratique appliquée depuis par Basile de Koch et son « vrai-faux manuel d’histoire », Lorànt Deutsch ou par Philippe de Villiers, dernier venu parmi les historiens de garde, qui expliquait récemment à propos de sa dernière biographie de Louis IX que : « Le roman de saint Louis n’est pas un roman, c’est la vie de saint Louis qui est un roman. »32

Cette confusion n’a rien de gratuite. Sous la plume de l’académicien, l’Histoire (re)devient une véritable religion révélée de la patrie, au service du pouvoir en place. Elle ne s’adresse pas à des individus critiques, mais, au mieux, à des consommateurs d’images d’Épinal, et, au pire, à des thuriféraires de l’ordre botté et rasé. Une histoire contre laquelle, en 1919, déjà, Lucien Febvre mettait en garde :

L’histoire qui sert, c’est une histoire serve. Professeurs de l’Université Française de Strasbourg, nous ne sommes point les missionnaires débottés d’un Évangile national officiel, si beau, si grand, si bien intentionné qu’il puisse paraître. […] La vérité, nous ne l’amenons point, captive, dans nos bagages. Nous la cherchons. Nous la chercherons jusqu’à notre dernier jour. Nous dresserons à la chercher après nous, avec la même inquiétude sacrée, ceux qui viendront se mettre à notre école33.

William Blanc

  1. Nous remercions Nathalie Dalla Corte pour sa traduction et sa patience.
  2. Le Point, 14 juillet 2011.
  3. L’âme de la France, p. 354.
  4. Voir Les Historiens de garde, p. 219
  5. Il est intéressant de remarquer que c’est sous la Restauration qu’ont été écrites les premières esquisses de roman national. Voir à ce titre S. Venayre, Les Origines de la France, Seuil, 2013, p. 26-33.
  6. Dictionnaire amoureux, p. 13.
  7. Ibid.
  8. L’Âme de la France, p. 590.
  9. Voir M. Gallo, Histoires particulières, Paris, 2009, p. 91.
  10. Voir à ce sujet l’article de Vincent Capedepuy « Le déni du Monde », aggiornamento.hypotheses.org, 17 juin 2013.
  11. Le Point, 14 juillet 2011.
  12. Max Gallo, Histoires particulières, p. 84. Texte en gras souligné par nos soins.
  13. Voir C. Amalvi, « Le baptême de Clovis : heurs et malheurs d’un mythe fondateur de la France contemporaine, 1814-1914 », Bibliothèque de l’école des chartes, 147, 1989, p. 583-610.
  14. « La Bastille tombée, la violence cruelle et barbare, lourde de ressentiment, se déchaîne. Elle s’est accumulée depuis des siècles. (…) Et le désordre s’installe. Plus personne n’est capable de rétablir l’ordre, de faire rentre le fleuve dans son lit. » Dictionnaire amoureux, p. 402. Cette image négative rentre-t-elle en contradiction avec la citation (bien plus positive) tirée de L’Âme de la France selon laquelle « La Révolution, la République, sont l’assomption de la nation. » (p. 327) ? Pas si l’on comprend que, pour Max Gallo, la Révolution positive (dont il est question ici) est incarnée par Napoléon.
  15. Dictionnaire amoureux, p. 104. Voir également « Interview de Max Gallo », Le Figaro Magazine, 16 avril 2011.
  16. Dictionnaire amoureux, p. 271.
  17. L’âme de la France, p. 586.
  18. M. Gallo, Histoires particulières, p. 85.
  19. L’âme de la France, p. 47-48. Notons encore une fois le jeu des métaphores christiques : « le sang répandu » dont l’âme « s’abreuve ».
  20. « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. » Discours prononcé le 27 juillet 2007 à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar (Sénégal). On remarquera que ce genre de propos semble être l’apanage de ceux qui défendent une vision nationale de l’histoire. Ainsi, Pierre Nora, en introduction du premier tome des Lieux de mémoire (certes composé au début des années 1980), explique ainsi qu’ « à la périphérie, l’indépendance des nouvelles nations a entraîné dans l’historicité les sociétés déjà réveillées par le viol colonial de leur sommeil ethnologique. » P. Nora, « Entre Mémoire et Histoire. La problématique des Lieux » dans Les Lieux de mémoires, Gallimard, 1997 (1ère édition 1984), p. 23. Les connaisseurs de l’histoire africaine apprécieront l’allusion au « sommeil ethnologique ».
  21. L’Âme de la France, p. 94. Max Gallo ne précise évidemment pas d’où est tirée cette phrase (aucune source des citations n’est proprement indiquée). Il s’agit de Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre, Tome I, L’Appel, p. 1. Rappelons que, sur la base de la Croix de Lorraine de Colombey-les-Deux-Églises est inscrite la phrase suivante : « Il y a un pacte plusieurs fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté dans le monde. ». Voir Maurice Agulhon, De Gaulle. Histoire, symbole, mythe, Hachette, 2001 (1ère édition 2000), p. 12.
  22. Dictionnaire amoureux, p. 13.
  23. Le mythe de la défaite fondatrice a été largement utilisé par divers régimes, que ce soit en 1870 ou après 1940 par Vichy qui usa et abusa de l’image d’Alésia. Voir à ce sujet l’article sur le blog de J-P Demoule, « Alésia ou la défaite fondatrice », jeanpauldemoule.com, 5 avril 2012. Sur la notion de défaite fondatrice, voir P. Joutard, Histoire et mémoires, conflits et alliance, La Découverte, 2013, p. 102-107.
  24. On notera qu’un autre historien de garde, Dimitri Casali, affirme lui aussi sa foi dans la venue d’un nouvel homme providentiel pour sauver la France de la crise. Voir à ce titre cet article, daté du 19 septembre 2013.
  25. L’âme de la France, p. 57
  26. Dictionnaire amoureux… p. 26
  27. Voir à ce titre le fascinant article Julien Théry, « Une hérésie d’État. Philippe le Bel, le procès des « perfides templiers » et la pontificalisation de la royauté française », Médiévales, 60, printemps 2011.
  28. Voir, à ce sujet, S. Venayre, op. cit., p. 67-84.
  29. J. Michelet, Le Peuple, Paris, 1974 (1ère éd. 1846), p. 238.
  30. Voir A. Bruter, « Un laboratoire de la pédagogie de l’histoire. L’histoire sainte à l’école primaire (1833-1882) », Histoire de l’éducation [En ligne
  31. M. Crubellier, « De l’histoire sainte à l’histoire de France », Les Cahiers aubois d’histoire de l’éducation, n° spécial 10-a : Colloque 1986. Les manuels scolaires, 1988, pp. 89-104.
  32. Nouvelle de France, le 10 décembre 2012.
  33. L. Febvre, « L’Histoire dans un monde en ruine », Revue de Synthèse Historique, t. XXX, 1920, Leçon d’ouverture, faculté des lettres de Strasbourg, 4 décembre 1919. Le texte complet est disponible sur le site fr.wikisource.org, consulté le 3 mars 2014.

Cet étrange M. Chauprade

Article initialement publié dans L’Idiot International #1, mars 20141.

N’a-t-on pas, depuis la chute du Mur, la sensation d’être confronté à un monde trop compliqué, où le multipolaire a remplacé la bonne vieille confrontation Est-Ouest ; où le danger est partout et pas seulement de l’autre côté du Rideau de fer. Qu’on se rassure, notre planète n’est pas compliqué pour tous le monde.

LE RÉALISME GÉOPOLITIQUE À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE

Prenons par exemple la Chronique du choc des civilisations du géopoliticien Aymeric Chauprade. Ce dernier, bien implanté dans le milieu universitaire – il a été enseignant au Collège interarmées de défense de 1999 à 2009 – et éditorial, s’affiche en géopolitique comme un des tenants du courant réaliste. Comprenez que, pour lui, sa théorie n’en est pas une mais est au contraire une évidence. L’horizon intellectuel d’Aymeric Chauprade se limite en fait à reprendre – en introduisant quelques variantes – l’idée du choc des civilisations développée par le professeur Samuel Huntington dans un article célèbre de la revue Foreign Affairs de 1993. Rappelons-en rapidement les grands points : le monde se diviserait en plusieurs civilisations qui, tout au long de l’Histoire, se seraient affrontées. Les idéologies du XXe siècle n’auraient été qu’une brève parenthèse dans cette lutte qui a repris de plus belle depuis la fin du bloc soviétique.

"Le choc des civilisations est au coeur de l’Histoire" A. Chauprade
« Le choc des civilisations est au coeur de l’Histoire » A. Chauprade

Écrit au sortir de la guerre froide et en plein désarroi face à la poussée nationaliste en ex-Yougoslavie, cette théorie se distingue par une analyse pour le moins grossière des faits historiques. En digne héritier de cette école de pensée, Aymeric Chauprade, dans Chronique du choc des civilisations, balaie 3 000 ans d’Histoire (et plus encore) en moins de deux pages (8 et 11) :

Si l’Histoire ne se réduit pas au choc des civilisations, le choc des civilisations est au coeur de l’Histoire… Cette vérité, le passé nous l’enseigne depuis la plus haute Antiquité.

affirme-t-il dès le début de sa courte introduction (p. 8). Une « vérité » qui « hante l’Europe depuis l’aube des temps » et qui n’est rythmée que par des grandes batailles, tant le rapport entre civilisations ne peut être que violent. Pourtant, depuis l’école des Annales (et même, depuis Jules Michelet) on sait que l’Histoire ne se résume pas seulement à une succession d’affrontements militaires et qu’il existe de nombreuses autres facettes à l’histoire des sociétés humaines. Aymeric Chauprade, de prime abord, semble même abonder dans ce sens et donner dans la nuance « Certes, l’Histoire ne se réduit pas au choc des civilisations ! Point de caricature, ni de simplifications historiques. » (p. 8) Mais cette prudence de façade ne sert qu’à mieux asséner ses idées. Ainsi, s’il se trouve qu’à un moment de l’Histoire, les civilisations dont parle le géopoliticien semblent disparaître, c’est qu’elles sont « en sommeil, comme de vieux volcans, mais toujours susceptibles de se réveiller. » (p. 11) ; et l’auteur d’étayer sa théorie avec quelques exemples :

En Méditerranée, partout où l’héritage romain n’a pas tenu face à l’islam, la civilisation punique de Carthage avait marqué les terres et les populations durant de longs siècle et Rome n’avait rien pu y faire. Dans le nord de l’Europe, au-delà du limes, partout où Rome n’avait pas laissé d’empreinte profonde, le catholicisme romain s’est effondré face à la Réforme. (p. 11)

Que de contrevérités en une phrase, que de simplifications grossières ! Tout d’abord, imaginer une continuité entre l’Empire punique, détruit au IIe siècle par Rome, et l’islam apparu plus de 750 ans après et dont les fondateurs ne se sont jamais réclamés de Carthage, est pour le moins osé. Comment expliquer par exemple qu’un des plus grand père de l’Église, en la personne d’Augustin, soit né non loin de Carthage, ou que nombres de tribus berbères – dont les ancêtres ont été des alliés de l’Empire punique – aient opposé une résistance féroce à l’avancée des troupes musulmanes omeyyades au VIIe et VIIIe siècle ? Pareillement, affirmer en une phrase que les frontières de l’Empire romain – le limes – annonce la ligne de démarcation entre le catholicisme et le protestantisme tient de la blague, surtout sous la plume d’un géopoliticien dont le métier consiste, entre autres, à fréquenter des cartes et des atlas historiques. La Suisse et l’Angleterre, pourtant sous domination romaine, ont été de grands centres de la Réforme. Ne parlons pas des Cévennes dont les populations, encore aujourd’hui, affichent fièrement leur mémoire huguenote. À l’opposé, l’Irlande et à la Pologne catholiques ne virent jamais la moindre légion romaine occuper durablement leur sol. « Point de caricature, ni de simplifications historiques » avions-nous cru lire…

L’ISLAM : L’ENNEMI

Mais qu’importe l’Histoire pour Aymeric Chauprade. Son but n’est pas de rendre intelligible une réalité complexe, mais de transmettre à ses lecteurs ses obsessions. Celles-ci sont rapidement identifiables :

L’intérêt de leur civilisation […] devrait pousser les Européens à réfléchir face aux trois grands défis qu’ils affrontent : le réveil violent de l’islam, l’utopie mondialiste américaine, la volonté de revanche de l’Asie. (p. 11)

Derrière ces menaces plurielles, une prend rapidement le dessus : l’islam, qui, sous la plume d’Aymeric Chauprade, est rapidement désigné comme l’ennemi principal, ne serait-ce que dans les partis pris iconographiques de la Chronique du choc des civilisations. Dans la seule introduction, on est frappé de constater que les trois images n’illustrent que des moments d’affrontement entre un Occident et un Orient essentialisés : la bataille d’Issos opposant Alexandre le Grand à Darius III (333 avant notre ère), celle de Poitiers opposant Charles Martel à Abd El-Rahman (732), et Barack Obama rendant hommage, à Ground Zero, aux victimes du 11-septembre.

C’est aussi la majorité des chapitres, six sur dix, qui sont consacrés à décrire un islam dangereux, comme le chapitre 8 intitulé « Fanatismes versus christinanisme ». Derrière le premier terme dont le pluriel est un leurre, seules sont pointées du doigts les persécutions (qui ne sont pas contestables) que subissent les minorités chrétiennes dans des pays musulmans, sans jamais donner lieu à un peu d’analyse historique, sans que ne soit non plus jamais répertoriées les persécutions (là aussi, réelles) que subissent les musulmans dans certains pays. La « vérité » d’Aymeric Chauprade est à sens unique et sa crainte de l’islam tellement viscérale qu’elle occupe la majorité du livre, près de 176 pages sur les 274 que compte l’ouvrage, index compris, dans lequel le grossier côtoie le morbide.

Ainsi, l’auteur consacre-t-il quatre pages au « rituel macabre des décapitations » (p. 36-39) dans lequel on apprend, photos voyeuristes à l’appui, que les radicaux islamistes décapitent leurs victimes depuis la guerre de Bosnie. Là encore, s’il n’est pas question de nier la violences de certains terroristes, on cherche en vain des allusions aux massacres commis par les miliciens serbes ou croates à l’encontre des musulmans bosniaques. Cette velléité de voir l’islam comme une culture par essence violente, depuis ses origines, permet à Aymeric Chauprade de justifier des prises de positions contemporaines. Ainsi invoque-t-il, pour mieux rejeter l’entrée de la Turquie dans l ’Union Européenne : les campagnes des Turcs seldjoukides du XIe siècle puis les conflits opposant l’Empire Ottoman aux puissances continentales (p. 28-29). Le refus de l’adhésion d’Ankara va d’ailleurs de paire, selon l’auteur, avec l’affirmation des racines chrétiennes de l’Europe :

Alors que toutes les nations et les empires du monde affirment leur identité ethnique ou religieuse, de la Chine à l’Amérique en passant par l’ensemble des pays musulmans, l’Union Européenne devra-t-elle être la seule construction privée d’Histoire ? […] Ces dernières années, les engagements répétés du Vatican pour souligner les racines chrétiennes de l’Europe dans la constitution européenne comme ceux d’une grande partie de l’opinion publique européenne contre l’entrée de la Turquie dans l’Europe illustrent cette montée d’une
conscience européenne. (p. 29).

Pour Aymeric Chauprade, la civilisation européenne se confond donc avec l’identité religieuse chrétienne, sur fond de crainte du monde musulman. Des propos qui n’auraient pas détonné sous la plume de Samuel Huntington qui en 1993 voyait dans l’islam une civilisation dont les frontières sont « ensanglantées » (« Islam has bloody borders. »). Devrions-nous pour autant ne voir en Aymeric Chauprade qu’un pâle répétiteur du professeur d’Harvard ? Pas du tout. Là où ce dernier voyait un bloc occidental uni face à un front islamique, le géopoliticien français distingue quatre types d’islam et surtout opère une distinction entre les civilisations anglo-saxonnes centrées sur l’Amérique du Nord, et la civilisation européenne. C’est la survie de cette dernière, qu’il imagine menacée de toutes parts, qui mobilise toute ses craintes et son attention.

Le combat pour la civilisation dépasse tous les combats, car il ne s’inscrit pas dans l’échelle de temps d’une vie ; c’est un combat pour la lignée, au nom des pères grecs, romains et germains qui ont légué à l’Européen la liberté, la raison et la volonté
de puissance. Ce combat est essentiel ; pour que l’Europe ne devienne jamais la périphérie soumise d’une Asie hyperpuissance [sic] ou que les filles de France n’aient pas à craindre demain la rigueur d’une police “du vice et de la vertu” (p. 8).

La civilisation européenne réduite non seulement à une culture ou à une religion, mais aussi à une filiation, voire à une ethnie et à une race, serait donc confrontée à un péril biologique. « L’Européen », au masculin et avec une majuscule, comme s’il existait un idéal-type d’homme de l’Europe, doit se battre pour sa « lignée » tout en protégeant « les filles de France » (de l’Europe, on passe à l’Hexagone. Voilà un continent qui se réduit vite) contre les polices du « vice et de la vertu », référence à peine voilée au ministère du même nom créé en Afghanistan durant la règne des Talibans ou à la Muttawa, la police religieuse de l’Arabie saoudite. Aymeric Chauprade prétendrait-il que les femmes françaises seraient menacées d’être cloîtrées, mariées
de forces et engrossées par des musulmans fanatiques ?

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D’OU VIENT LE RÉALISME D’AYMERIC CHAUPRADE ?

Répondre positivement à cette question ne nous amènerait-il pas trop loin ? Ne risquons-nous pas de surinterpréter le texte du géopoliticien ? À bien y réfléchir, pas le moins du monde. En effet, les propos d’Aymeric Chauprade ne viennent pas de nulle part. L’homme a fait ses classes dans les milieux völkisch néo-païens de l’extrême droite française2. Il a ainsi écrit nombre d’articles dès 2002 pour la Nouvelle Revue d’Histoire dirigée par Dominique Venner. Ce dernier, à partir des années 1960, avec le mouvement Europe-Action, fondé en 1963, puis avec le GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne) et la Nouvelle droite dans les années 1970, a contribué, avec des proches comme Alain de Benoist, à la renaissances des théories racialistes en France. Rappelons-en les grandes lignes3.

Pour Dominique Venner, l’erreur du nazisme a été de penser le combat racial à partir d’une seule nation, ce qui aurait conduit l’Europe à un véritable suicide collectif lors de la Seconde Guerre mondiale, dont auraient profité les États-Unis et les nations colonisées. Au contraire, Dominique Venner n’envisage la race (ou l’identité) que dans un cadre large et continental, qui se serait développée à partir d’une antique « souche indo-européenne
», expression que reprend Aymeric Chauprade à la page 29 de sa Chronique. La principale menace résiderait dans l’affaiblissement de ses racines par le métissage. Ce n’est pas un hasard si la tendance völkisch de l’extrême droite a été l’une des premières à faire de la lutte contre l’immigration l’un de ses thème centraux. Par extension, elle a dénoncé la présence du christianisme en Europe, analysée par Dominique Venner et ses disciples non seulement comme une importation extérieure – comprendre juive –, mais comme la source d’une fragilisation égalitaire et universaliste de la civilisation blanche. Sans reprendre explicitement ces analyses, on remarque néanmoins qu’Aymeric Chauprade, en citant la filiation dans laquelle doit s’inscrire « l’Européen », omet tout allusion au christianisme au profit de la Grèce, de Rome et surtout des Germains qui auraient légué « la volonté de puissance ». Il n’en met pas moins, quelques pages plus loin, un peu d’eau dans son vin en reconnaissant à l’Europe, comme nous l’avons vu, des racines non seulement indo-européennes, mais aussi chrétiennes (p. 29). C’est que tout völkisch qu’il soit, Aymeric Chauprade, est parvenu sur le devant de la scène politique et qu’il lui faut montrer un visage présentable.

Dominique Venner s’est suicidé le 21 mai 2013 dans le cathédrale Notre-Dame de Paris. Aymeric Chauprade, sur son blog realpolitik.tv, lui rend immédiatement hommage en s’adressant à lui à la deuxième personne du singulier : « Tel Montherlant ou Drieu la Rochelle, tu as choisi la mort volontaire, celle des Romains, ou des Germains, celle de la vieille religion des Européens4. » Peu après, c’est au tour de Marine Le Pen de prononcer son éloge dans un tweet : « Tout notre respect à Dominique Venner dont le dernier geste, éminemment politique, aura été de tenter de réveiller le peuple de France. » Aymeric Chauprade n’y est sans doute pas pour rien. Il est en effet, depuis 2010, le conseiller officieux de Marine Le Pen pour toutes les questions internationales, un poste qui a été officialisé en septembre 2013 lors de la dernière université d’été du F.N. En janvier 2014, il a été confirmé comme tête de liste du Rassemblement Bleu Marine aux élections européennes pour l’île-de-France. Une promotion qui en dit long sur son influence. Dans ce cadre, la Chronique du choc des civilisations apparaît comme un manifeste et une annonce du programme géopolitique du F.N. Certaines des préconisations d’Aymeric Chauprade ne surprendront personne. Ainsi, l’immigration, de phénomène social et économique, est-elle vue comme une arme de colonisation aux mains des anciens pays colonisés : « La civilisation française est menacée par le multiculturalisme. La réalité est que le modèle d’assimilation s’efface devant une logique de remplacement des Français. » déclare ainsi le géopoliticien au Point le 13 novembre 2013, en reprenant le thème du « remplacement » cher à l’écrivain Renaud Camus, proche des identitaires.

Mais c’est au niveau des relations internationales que les idées du géopoliticien, de prime abord, étonnent. Il déclare ainsi, dans la même interview qu’une « France soutenant un autre projet européen, fondé sur un axe Paris-Berlin-Moscou, aurait la capacité de jouer un rôle de premier plan, même sans une démographie d’échelle asiatique. » La fascination pour la Russie de Poutine (dont les photos s’étalent complaisamment dans la Chronique du choc des civilisations) semble en effet être une constante chez Aymeric Chauprade. Il en fait tout d’abord un allié de poids face aux visées d’une Amérique qui afficherait un soutien inconditionnel au bloc musulman et à l’islamisme. Mais la Russie est également un modèle à suivre dans sa politique intérieure et annonce la « montée d’une conscience européenne » qu’appelle le géopoliticien de ses voeux. Non seulement Moscou se démarque des démocraties occidentales par son refus de l’immigration, mais aussi parce que :

La nouvelle présidence Poutine débutée en 2012 s’annonce comme une réaffirmation identitaire : examen de langue et d’histoire russes obligatoire pour les immigrés en 2015, révision des accords d’adoption d’enfants russes avec les pays autorisant les mariages homosexuels (avril 2013), loi de surveillance des ONG étrangères […], célébration officielles du 400e anniversaire de la dynastie impériale des Romanov (6 mars 2013) (p. 73).

Aymeric Chauprade imagine-t-il une France à cette image, où la chasse aux immigrés et la restriction des libertés publiques côtoient la célébration d’un passé fantasmé ? Certainement5

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À force de penser que sa discipline géopolitique est seule apte à faire comprendre la complexité du monde et que les autres sphères de l’activité humaine – économique, démographique, géographique, historique, sociologique, anthropologique, sans même parler de la sphère écologique – y sont subordonnées, Aymeric Chauprade ne finit par voir le monde que comme un gigantesque kriegspiel, dans lequel l’Europe est engagée dans une lutte pour sa survie qu’elle ne gagnera qu’en étant ethniquement homogène et soumise à un régime autoritaire. La recette n’est pas nouvelle. L’Action française de Charles Maurras prétendait elle aussi, au début du XXe siècle, que la revanche sur l’Allemagne wilhelmienne ne pouvait être menée correctement que par le retour d’un régime monarchique et par l’affirmation du « pays réel » face au « pays légal » aux mains des juifs, des francs-maçons et des protestants. On sait ce qu’il est advenu de ce réalisme-là.

William Blanc

Pour une synthèse de la critique de la théorie du choc des civilisations, on regardera avec intérêt cette émission du Dessous des cartes datée de 2002 :

  1. Les notes et les passages soulignés en gras ont été rajoutés pour les besoins de l’édition en ligne. Précisons également que ce texte n’engage que son auteur et ne reflète en rien les positions ou les analyses des autres coauteurs des Historiens de garde.
  2. Le courant völkisch est né durant la seconde moitié du XIXe siècle puis a été une des composantes de la révolution conservatrice allemande des années 20-30. À ce propos, voir l’article de S. François, « Qu’est ce que la Révolution conservatrice ?, tempspresents.com, 24 août 2009 (dernière consultation le 4 avril 2014). Les idées völkisch inspirent aujourd’hui nombre de courant politiques en France, notamment la nébuleuse identitaire.
  3. Voir à ce sujet l’excellent article de S. François et N. Lebourg, « Dominique Venner et le renouvellement du racisme », tempspresents.com, 23 mai 2013 (dernière consultation le 4 avril 2014).
  4. A. Chauprade, « Dominique Venner a choisi la mort volontaire. Communiqué d’Aymeric Chauprade », realpolitik.tv, 21 mai 2013 (dernière consultation le 7 avril 2014).
  5. Aymeric Chauprade a assisté en observateur au référendum pour le rattachement de la Crimée à la Russie, en mars 2014. Il déclare sur son blog : « C’est ce nouveau Yalta mondial que les Européens de l’Ouest et du Centre doivent embrasser : il peut nous permettre de faire définitivement la paix avec la Russie et d’édifier avec elle une grande unité européenne, fondée d’abord sur la souveraineté et la liberté de chacune des nations de notre belle civilisation. », A. Chauprade, « 1945-2014, De Yalta… à Yalta », realpolitik.tv, 16 mars 2014 (dernière consultation le 4 avril 2014). Pour voir une généalogie des liens unissant le FN et la Russie, voir N. Le Blevennec « Pourquoi le Front national est fasciné par la Russie », rue89.com, 3 janvier 2012 (dernière consultation le 4 avril 2014). Rajout du 15 avril : Marine le Pen a été reçue à la Douma (le Parlement russe) le 14 avril 2014. Voir M. Jégo, « Marine Le Pen reçue à bras ouverts par la Douma », lemonde.fr, 14 avril 2014, (dernière consultation le 15 avril 2014). Elle avait déjà effectué une visite similaire en juin 2013. Voir E. Grynszpan, « Moscou déroule le tapis rouge devant Marine Le Pen », lefigaro.fr, 20 juin 2013 (dernière consultation le 15 avril 2014).