Les historiens de garde sont en Suède aussi
Le Métronome vient d’être traduit en suédois, ce qui a fait naître cette comparaison sur la twittosphère : Lorànt Deutsch, Herman Lindqvist, même combat.
Bien que plusieurs de ses ouvrages aient été traduits en français, il est probable que ce Lindqvist là ne vous soit pas trop connu mais en Suède, impossible de lui échapper. Il est Monsieur histoire de la Suède.
Journaliste de formation, Herman Lindqvist est né en 1943. Il a longtemps été correspondant à l’étranger pour plusieurs médias suédois. En 1989, il est notamment correspondant à Paris et, probablement inspiré par le Bicentenaire de la Révolution, il publie son premier livre à caractère historique Revolution ! Om Frankrikes blodiga år (Révolution ! les années sanglantes de la France), tout un programme… Puis il est envoyé à Madrid et l’année suivante, il décide de produire une histoire de l’Espagne en suédois.
En 1991, de retour en Suède, il publie l’inévitable biographie d’Axel de Fersen, traduite en de multiples langues dont le français et l’anglais. La même année, la télévision suédoise lui confie une émission d’histoire Hermans Historia qui a perduré jusqu’en 2002. Parallèlement, il a publié une histoire de la Suède en plusieurs volumes.
Très rapidement, les historiens réagissent et mettent en garde contre l’histoire selon Lindqvist. Parmi eux, Peter Englund donne une recension du troisième tome de son histoire de la Suède consacrée à la période 1611-1660, une période qui fait aussi figure d’âge d’or suédois1. Il souligne notamment les expressions de Lindqvist qui invitent ouvertement ses lecteurs à se souvenir avec fierté de ce glorieux passé dont les universitaires auraient honte. Lindqvist se donne donc pour mission de réhabiliter l’empire suédois contre « l’historiographie masochiste » des universitaires (ça vous fait penser à quelque chose ?). Quel est leur tort ? Rappeler que l’expansion de la Suède au XVIIe siècle, ce n’est pas que de belles images pour les livres d’histoire, c’est aussi un peu de sang, de sueur et de larmes. Au demeurant, Englund rappelle qu’aucun historien n’a prétendu qu’il fallait avoir honte de cette période et que, au contraire, elle faisait l’objet d’un renouveau historiographique extrêmement riche auquel les médias ont donné une large place. Il explique que Lindqvist veut s’inscrire dans une veine populiste et anti-intellectualiste pour séduire le public (il dit qu’il écrit pour le peuple, pas pour les historiens des universités) et que, pour cela, il a besoin de caricaturer les universitaires. Il est vrai que dans le rôle du « traître », Peter Englund est tout désigné, lui qui a consacré un ouvrage à la bataille de Poltava, défaite suédoise contre la Russie en 1709 qui signe symboliquement la fin de la puissance suédoise.
Ce qui nous semble particulièrement intéressant, c’est que le professeur Englund est écouté. Son livre sur la Poltava a rencontré un certain succès, il est très soucieux de vulgarisation et veille à adopter un style qui ne rebute pas le public. Pour toutes ces raisons, ses ouvrages se vendent relativement bien et sont traduits dans plusieurs langues. Ce n’est donc pas le retrait volontaire du champ médiatique par les universitaires qui explique le succès de Lindqvist. On peut cependant souligner qu’il est bien en cour. Royaliste revendiqué, il a été nommé professeur particulier d’histoire de la princesse Victoria à qui il a consacré un livre en 2009 (Victoria: Drottning Med Tiden). Cependant, si la monarchie a voulu profiter de la popularité du journaliste, elle risque aujourd’hui de le regretter, Lindqvist n’hésitant pas à s’ériger en censeur de son bon usage de l’histoire. En 2012, il s’insurgeait contre le choix du prénom d’Estelle pour la princesse dernière née de la famille, un prénom qui ne correspondrait à rien dans l’histoire suédoise et qui « sonnerait comme le nom d’une boîte de nuit ».
Ces dernières années, la polémique a enflé autour de Lindqvist. Après avoir hâtivement prêté des sentiments antisémites au professeur d’histoire économique Karl Gustav Hildebrand, sans avoir vérifié ses sources, dans le tome 9 de son Histoire de la Suède sur les années 1905-1946, les soutiens du journaliste se sont faits plus rares. Il peut cependant toujours compter sur l’extrême-droite qui l’accueillait volontiers en entretien pour le site identitaire Nationell.nu en juin 2012. Il y réaffirmait sa conviction que l’histoire de la Suède était actuellement falsifiée par ignorance et que les prouesses militaires et la supposée unité nationale du XVIIe siècle étaient assimilées à une époque de terreur.
Lindqvist semble à ce point discrédité que ceux qui se risquent désormais à la vulgarisation télévisée en Suède ne veulent surtout pas être confondus avec lui. Parmi eux, Christopher O’Regan, ancien guide conférencier de Stockholm, ne veut plus publier quoi que ce soit sans faire apparaître ses sources.
Aurore Chéry
Enquête réalisée avec l’aimable participation de Tove Grandjean, conférencière et étudiante à l’université de Stockholm et de Queen’s à Belfast.
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